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Essai
La mystification de la Terreur


Par Henry Laurens
2018 - 10

Dans cet ouvrage, Jean-Clément Martin continue son enquête entreprise déjà depuis un certain nombre d’années sur l’épisode dit de la Terreur de la Révolution française et de façon plus générale sur la question de la violence lors de la Révolution. L’indexage numérique des textes a permis de montrer le faible usage du terme dans le discours général de la période et son absence dans les déclarations officielles avant la chute de Robespierre. 

En juillet 1794, il y a eu une révolution de palais qui a renversé un groupe au pouvoir par des hommes dont certains avaient commis plus de violences que ceux qu’ils allaient faire guillotiner. Le mois suivant, l’un des vainqueurs, Tallien, invente la notion de «?terreur?» et de «?terrorisme?» pour accabler les vaincus. Cette mystification a convaincu les contemporains comme la postérité alors qu’il s’agissait de disqualifier des adversaires politiques. Le pays découvre qu’il a vécu sous la «?terreur?». Les thermidoriens par leur invention rétroactive interdisent tout aussi bien l’oubli qu’ils en empêchent la compréhension. C’est un flot permanent d’horreurs décrivant ce qui vient de se passer. Jusque-là, les acteurs révolutionnaires avaient minimisé la violence depuis le début de la Révolution. Maintenant ils la mettent en exergue pour mieux la dénoncer en faisant de Robespierre un bouc émissaire.
Le but des dénonciateurs de la violence n’était que de se maintenir au pouvoir. En se référant à la «?terreur?», ils utilisent, consciemment ou inconsciemment, une sensibilité marquée par des formes d’irrationnel comme les mouvements occultistes, le roman dit «?gothique?» ou les pulsions millénaristes. C’est la force du «?sublime?», cette émotion récemment découverte. En un sens, la Révolution se comprend mieux par la sensibilité et les émotions du temps que par les références aux idées des Lumières. Cela fera ensuite le succès de Bonaparte/Napoléon et de sa fascination qui s’exerce jusqu’à aujourd’hui.

Si la Terreur n’a pas existé, son ombre a porté jusqu’à nos jours par les diverses réflexions des penseurs du XIXe siècle et par l’usage que l’on en a fait à partir de la révolution russe de 1917. En revanche, le terrorisme change de sens dans les années 1890 pour désigner les violences commises par des individus ou de petits groupes, même si certains aujourd’hui confondent le terrorisme d’État et le terrorisme d’aujourd’hui, mais cela est un autre débat.

Dans l’ensemble, la démonstration est plus que convaincante. Elle permet d’abandonner les oppositions entre 1789 et 1793 (la bonne et la mauvaise révolution), la discussion sur la violence comme instrument d’un projet ou le fruit des circonstances et met fin à cette cassure de thermidor après laquelle il n’y aurait qu’un épilogue de la Révolution jusqu’à la prise de pouvoir par Bonaparte. Thermidoriens et Directoriens ont plus que largement contribué à la constitution de la «?France contemporaine?» comme on disait au XIXe siècle. 

Il me semble pourtant que l’invention de la Terreur est une «?mise en sens?» des événements qui venaient de se passer, une proposition d’interprétation dont les contemporains avaient désespérément besoin, ce qui permet de comprendre pourquoi cette mystification a si bien marché, de 1794 à nos jours.

Dans le magnifique film de John Ford The Man Who Shot Liberty Valance, la morale de l’histoire est représentée par la réplique?: «?Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende.?» (When the legend becomes fact, print the legend.) Le reproche que l’on peut faire à Jean-Clément Martin est de rendre la Révolution trop prosaïque, de lui faire perdre son sublime et son effroi. Mais enfin c’est le prix de toute démystification.
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
Les Échos de la Terreur, Vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001 de Jean-Clément Martin, Belin, 2018, 324 p.

 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166