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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Antoine de Tarlé
2019 - 10

Il existe des dizaines de biographies de De Gaulle. Bien avant sa disparition en 1970, de nombreux auteurs, journalistes ou historiens s’étaient penchés sur le destin exceptionnel d’un homme qui aura dominé l’Histoire de la France au XXe siècle. Il semble cependant que le livre de Jackson restera pour longtemps l’étude définitive d’un parcours que personne avant lui n’a pu traiter de manière aussi objective et complète. 

Il est vrai que l’auteur, universitaire britannique spécialiste de la France qui avait publié un ouvrage de référence sur l’Occupation et le régime de Vichy, a bénéficié de l’ouverture récente de nombreuses archives et de mémoires de proches du Général, notamment celles de Jacques Foccart, ce qui lui permet de traiter de manière exhaustive la Cinquième République. Néanmoins, ce qui retient surtout l’attention du lecteur, ce sont ses jugements s’appuyant sur des analyses d’une grande objectivité qui éclairent d’un jour nouveau les étapes de la vie du grand homme.

On saura gré à Jackson de ne pas négliger les années de formation de De Gaulle et notamment la période d’entre les deux guerres au cours de laquelle, celui-ci a découvert les aléas mais aussi la fascination de la politique. Il ne parvient pas à éclairer totalement les rapports complexes entre De Gaulle et Pétain qui fut pour lui une sorte de parrain jusqu’à leur brouille définitive au début des années 30. En revanche il montre combien De Gaulle s’intéressa très tôt aux affaires publiques et s’efforça de nouer des liens avec d’importants hommes politiques de l’époque, le dirigeant socialiste Léon Blum mais surtout Paul Reynaud. De ce fait Jackson relativise les essais de De Gaulle sur la réforme de l’armée et la guerre du futur. Contrairement à Guderian son homologue allemand, il néglige le rôle majeur de l’aviation dans son apologie de l’arme blindée, ce qui limite considérablement la portée des innovations qu’il préconise. En fait, dès les années 30, le colonel De Gaulle cherchait à participer au gouvernement et se voyait ministre de la Défense d’un cabinet Reynaud.

1940 et l’Appel du 18 juin marquent l’entrée de De Gaulle dans la grande Histoire. Jackson décrit avec beaucoup de subtilité les rapports orageux du chef de la France Libre avec ses hôtes britanniques et surtout avec Churchill. Il montre le mélange de clairvoyance et de maladresse du général qui mesure bien les enjeux stratégiques mais peine à s’imposer vis-à-vis des Alliés et de la Résistance intérieure. En janvier 1946, ne pouvant s’accorder avec les chefs des partis, il quitte le pouvoir avec l’espoir, bientôt déçu, d’y revenir rapidement.

Sa longue traversée du désert ne prend fin qu’en 1958. Rappelé au pouvoir par une classe politique engluée dans la guerre d’Algérie, il donne la pleine mesure de son sens tactique et fait preuve d’un machiavélisme que Jackson évoque avec brio. Pendant ces années, le fondateur de la Cinquième République confirme qu’il est le plus grand politique français de son siècle. Il sort, trop lentement sans doute, le pays de la crise algérienne, dote la France d’institutions qui ont montré leur résilience et surtout, s’engage dans une politique étrangère ambitieuse et réfléchie qui tranche avec la timidité de ses prédécesseurs. Jackson analyse de manière très détaillée cette politique qui découle d’une vision lucide des équilibres mondiaux en ces temps de guerre froide. Le dialogue avec l’Allemagne, le retrait partiel de l’OTAN, la reconnaissance de la Chine communiste, la critique de l’engagement des États-Unis au Vietnam et du comportement d’Israël sont autant de prises de position qui font de De Gaulle un acteur important sur la scène mondiale. 

Cependant, à partir de 1967, le système gaullien commence à se défaire. Là encore Jackson évoque avec précision et lucidité ce déclin que la crise de mai 1968 accélère de manière spectaculaire. Le référendum raté d’avril 1969 permettra au vieux président de sortir du monde politique en s’inclinant démocratiquement devant la volonté du peuple.

Au terme de ce gros volume et de cette grande histoire si bien racontée par un des meilleurs spécialistes de la France, on a le sentiment de mieux comprendre non seulement le passé, mais aussi la France d’aujourd’hui.


 
 
BIBLIOGRAPHIE  
De Gaulle de Julian Jackson, traduit de l'anglais par Marie-Anne de Beru, Seuil, 2019, 990 p.


 
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166