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Enquête

Mona Khazindar nous promet que l'Institut du monde arabe de Paris se focalisera davantage sur les créations contemporaines et l’actualité arabe. Rencontre avec la première femme à la direction de l’IMA. 

Par Mahmoud HARB
2011 - 12
L’heure semble être au changement à l’Institut du monde arabe. Le réveil démocratique arabe qui se poursuit avec pugnacité en ce début d’hiver ne manquera pas, avec les transformations des modes d’expression artistiques et les effusions de créativité qu’il provoquera et dont les prémices sont déjà visibles, d’avoir des retombées substantielles sur l’IMA. D’autant qu’à l’approche du vingt-cinquième anniversaire de l’institution, sa direction vient de subir quelques changements qui annoncent un renouveau probable de l’approche adoptée par ce haut-lieu culturel parisien où cultures arabes et occidentales dialoguent et échangent comme nulle part ailleurs.

Depuis l’été dernier, l’IMA a en effet un nouveau président. Nommé au poste nouvellement créé de Défenseur des droits, Dominique Baudis qui occupait la présidence de l’institution depuis 2007 a ainsi cédé la place à Renaud Muselier, homme politique français et par ailleurs président du Conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée. Ce changement au niveau de la présidence a coïncidé avec l’accession pour la première fois d’une femme au poste de directrice générale de l’Institut. À Mokhtar Taleb Bendiabqui qui a assuré la direction générale de l’IMA depuis 2005 et dont le second mandat est arrivé à expiration cette année a ainsi succédé Mona Khazindar, Saoudienne née aux États-Unis, spécialiste de littérature comparée et d’histoire contemporaine et chargée des expositions d’art contemporain au sein de l’établissement depuis plus de deux décennies.

La nomination d’une femme au poste-clé de directrice générale de l’IMA est sans le moindre doute l’expression d’une volonté de modernisation et un message fort adressé au public en ce printemps arabe où les femmes jouent un rôle de premier plan et s’affichent, au-delà de la discrimination, comme des actrices politiques incontournables, au même titre que leurs concitoyens masculins. Mona Khazindar trouve d’ailleurs que sa nomination «?est dans l’air du temps?». «?De nombreuses femmes sont actives dans la sphère culturelle en France et dans le monde arabe, y compris dans le Golfe, ajoute-t-elle. Il était donc temps que la direction générale de l’IMA soit confiée à une femme.?»

Mona Khazindar souhaite d’ailleurs que son accession à son poste actuel soit l’occasion d’instiguer une certaine mutation dans l’approche adoptée par l’IMA face aux cultures arabes. Elle reconnaît en effet la validité de la critique fréquemment formulée à l’encontre de son institution et qui consiste à souligner que l’IMA se tourne presque exclusivement vers le patrimoine historique et n’accorde qu’une place marginale aux expressions artistiques contemporaines. Certes, l’Institut ne se détourne pas complètement du contemporain et a par exemple accueilli récemment une exposition dédiée aux créations «?déconstructivistes?» de l’architecte irako-britannique Zaha Hadid. Néanmoins, la plupart de ses manifestations restent dédiées au patrimoine. Les formes musicales traditionnelles (musique soufie, andalouse, etc.) occupent ainsi une place prépondérante dans ses «?Musicales?» et les dernières expositions organisées par l’institution ont été successivement dédiées aux Phéniciens, Mamelouks, Pharaons, Ayyoubides, etc. Ni musique contemporaine ni arts plastiques modernes ne semblent pour le moment avoir leur place à l’IMA.

Mona Khazindar regrette donc que «?depuis quelques années, l’IMA (soit) coupé de l’actualité arabe?». Selon elle, cela serait notamment la conséquence des contraintes budgétaires qui pèsent sur le fonctionnement de l’institution qui dépend actuellement de la contribution de l’État français, des recettes du sponsoring et des intérêts de son fonds de dotation. L’Institut «?qui n’a pas toujours les moyens financiers de ses ambitions culturelles?» a en effet dû supprimer plusieurs manifestations à caractère contemporain telles que la Biennale du cinéma arabe, ou limiter les invitations d’intellectuels arabes résidant en dehors de France pour réaliser des économies, selon Mona Khazindar.

Nonobstant ces contraintes, la directrice générale rêve de pallier à cette carence à compter des festivités du vingt-cinquième anniversaire de l’IMA qui se dérouleront à l’automne prochain. À cette occasion, l’Institut projette ainsi d’organiser une série de manifestations visant à présenter le bilan d’un quart de siècle de créativité arabe dans plusieurs domaines, aussi bien au niveau de la musique, de l’art de la vidéo, de la photographie, de la mode, de la littérature, de la poésie ou des arts plastiques. Mona Khazindar espère que ces festivités seront également l’occasion de renforcer le partenariat et l’échange franco-arabe, pierre angulaire de la mission culturelle de l’IMA. Son projet consiste en effet à développer les manifestations culturelles de l’automne prochain en partenariat avec des institutions culturelles publiques ou privées du monde arabe, et à déplacer ces activités dans les pays partenaires. «?Il fut un temps où les intellectuels arabes faisaient connaissance à l’IMA, affirme-t-elle. Je souhaite que l’Institut redevienne ce lieu de rencontre arabo-français et interarabe.?»

Cette nouvelle approche est, pour la directrice générale, rendue indispensable par le printemps arabe, car le public «?veut aujourd’hui connaître davantage l’actualité arabe que l’IMA est plus que jamais appelé à montrer?». Mais comment l’IMA peut-il refléter une actualité riche en aspirations démocratiques sans courroucer les différentes autorités arabes qui sont toutes antinomiques de la liberté et de la démocratie et dont des représentants siègent au sein de son conseil?? L’IMA semble évoluer dans un terrain miné à ce niveau. Il célébrera ainsi le premier anniversaire de la révolution tunisienne par plusieurs manifestations audiovisuelles et poétiques et une série d’installations, selon Mona Khazindar. Et d’après son agenda, l’Institut a en outre récemment accueilli une rencontre dédiée à la Libye et une autre à l’écriture au temps de la révolution. Mais l’IMA semble prudemment éviter l’actualité plus polémique, comme les révoltes en Égypte, en Syrie ou à Bahreïn.

Quand on l’interroge à ce sujet, Mona Khazindar élude prudemment la question en affirmant que «?l’heure du bilan n’est pas encore arrivée?». Elle s’engage toutefois à ce que l’IMA «?reflète la participation des artistes arabes aux révolutions démocratiques?» en cours, soulignant qu’il s’agit là d’un «?devoir?» que l’Institut du monde arabe honorera. Nombreux sont ceux, parmi les habitués de l’IMA, à l’espérer.


 
 
© Mahmoud Harb
« Je souhaite que l’Institut redevienne ce lieu de rencontre arabo-français et interarabe »
 
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