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Enquête
La Méditerranée, berceau d’avenirs
Pour accompagner le lancement cette année de l’Union pour la Méditerranée, le Salon du Livre organise, textes à l'appui, un débat d’idées axé sur la Méditerranée et le dialogue euro-méditerranéen.

Par Farès SASSINE
2008 - 11

Si la Méditerranée, mer si chère à ses riverains, et aux hommes en général puisqu’elle constitue la première région touristique de la planète, est aujourd’hui le sujet de tant de publications en France, c’est, à première vue, en raison du Partenariat euro-méditerranéen  établi par la déclaration de Barcelone en 1995 et de l’initiative du président français. Plus profondément peut-être l’offre éditoriale répond à une fascination toujours renouvelée pour la richesse des civilisations qu’elle a vu naître et pour être, avec ses prolongements du golfe Persique à l’Afghanistan, la scène principale de la confrontation déclarée ou larvée de l’Occident avec son autre.

Paul Balta et Claudine Rulleau présentent, dans la collection « Les essentiels » aux éditions Milan, un petit ouvrage en bleu et blanc où l’on peut glaner bien des informations utiles et combler maintes lacunes de notre connaissance. De l’ère tertiaire où il y a 43 millions d’années a été provoquée la fracture où s’est coulée la Méditerranée aux ambiguïtés et points positifs et négatifs de la conférence de Barcelone et du Partenariat, la tâche n’était pas facile. Le résultat ne manque ni d’ordre ni de clarté, vertus par excellence méditerranéennes. Nous nous permettrons cependant deux remarques. La première concerne la place de la Grèce antique : elle ne figure dans le livre que dans la rubrique « polythéismes » ; mais ne doit-on pas aux cités hellènes de la période classique la démocratie, la philosophie, la science… bref la raison ? Le seul « miracle » que Bertrand Russell reconnaissait était le « miracle grec ». Par ailleurs, les auteurs ont bien fait d’insister sur le futur dans leur titre : La Méditerranée berceau de l’avenir ; mais il aurait été  plus respectueux du passé et moins hasardeux de dire berceau d’avenirs !

Béatrice Patrie et Emmanuel Español ne nous sont pas inconnus pour avoir consacré à notre pays un ouvrage intitulé Qui veut détruire le Liban ?  (Sindbad, 2007) dont la conclusion principale était : « le mythe de la démocratie communautaire a vécu ». Ils prennent aujourd’hui, volens nolens, le risque d’étendre ce « mythe » à un ensemble planétaire bien plus vaste. Chez le même éditeur et sous une chatoyante couverture où domine la couleur turquoise, ils publient un volume copieux où, sous le couvert d’une discussion de l’idée sarkozyste jugée « dérisoire » d’une Union de la Méditerranée, ils conçoivent un grand dessein pour les 50 ou 100 prochaines années : une « Europe à 50 », plus exactement un espace géographique regroupant l’Europe et tous les pays de l’est et du sud de la Méditerranée, « un ensemble régional intégré sur le plan politique, économique et culturel, dans une conception multipolaire du monde ». Béatrice Patrie, députée européenne et déléguée nationale du Parti socialiste français, est la présidente de la délégation pour les pays du Machreq au Parlement européen ; Emmanuel Español est historien des religions. Ils connaissent de près le contentieux méditerranéen et présentent des analyses fournies de ce qu’ils appellent « les grands défis » : de « l’horizon indépassable du conflit israélo-palestinien » à la question turque et à la « proximité complète » du Maghreb. Cela leur permet de mettre à nu l’imprécision et la pauvreté du projet sarkozyste qui, d’une part, ne délimite pas les pays concernés, d’autre part, ne semble apporter aucune valeur ajoutée aux programmes d’action entrepris dans le cadre de la politique européenne de voisinage. Refusant l’idée d’une Europe « cathédrale » ou « club pour peuples blancs et chrétiens » autant que l’idée d’une Europe « supermarché », ils balaient bien des idées reçues et sur l’islam (quitte à formuler des réticences tortueuses : « On ne saurait nier que les principes de la charia consacrent le statut inférieur de la femme, mais, une fois encore selon un esprit et dans des termes assez identiques à ceux de tous les systèmes patriarcaux, ce qui bien entendu ne constitue pas une justification. ») et sur le christianisme : l’Europe est déjà multiculturelle avec ses musulmans des Balkans et ses immigrés, et elle est en voie de se détacher de la religion.

En parlant d’un ensemble euroméditerranéen « fondé sur une laïcité intégratrice mais respectueuse des croyances religieuses et des opinions philosophiques, et un multiculturalisme garant du vivre ensemble », l’intellectuel libanais retrouve son vocabulaire, ses problèmes et ses projets de solution. L’appui de l’Europe sera sans prix pour les démocrates arabes. Mais si l’audacieux projet nous laisse dans l’amertume et la méfiance, c’est pour deux raisons au moins : son incapacité, tout comme celle de Sarkozy, à délimiter les frontières (peut-on séparer la Syrie de l’Irak et de l’Arabie et ces pays de l’Iran, ainsi que l’Europe de la Russie…) et donc à définir de nouvelles identités ; la capacité prouvée des communautés de faire fi des religions en raison de temporalités différentes et suite à des conjonctures prévisibles ou imprévisibles. Reste que la pluralité des projets fait de la Méditerranée un passé plein de futur : « Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie roule sa hanche jusqu’à nous » (Saint John Perse).

 

BIBLIOGRAPHIE

La Méditerranée berceau de l’avenir de Paul Balta et Claudine Rulleau, Les essentiels, Milan, 64 p.

Méditerranée Adresse au président de la République, Nicolas Sarkozy de Béatrice Patrie et Emmanuel Español, Sindbad, 352 p.

 
 
© Alexandre Medawar
 
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