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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête
Plaidoyer pour la cité phocéenne


Par Fifi ABOU DIB
2008 - 11
«Loin des yeux, loin du cœur est un adage stupide », précise l’auteur dans un magnifique avant-propos. Paul Lombard, l’un des ténors les plus célèbres du barreau parisien, se dit « travailleur immigré à Paris, sans domicile marseillais fixe ». Issu de Marseille au même titre que les figures illustres de cette ville à qui ce Dictionnaire amoureux rend hommage, Lombard précise que « l’éloignement n’est pas le dissolvant de l’amour mais sa cristallisation ». C’est donc dans une « perspective » amoureuse, de la distance et du temps, qu’il a rédigé cet ouvrage sur le mode d’un plaidoyer en faveur de la ville la plus turbulente et la plus métissée de France.

La première entrée est prévisible. Il s’agit bien sûr de « l’Accent » !
« Avoir l’accent, enfin, c’est chaque fois qu’on cause. Parler de son pays en parlant d’autre chose. » L’auteur de ces vers est un pasticheur de Rostand, Michel Zamaçoïs. Si Lombard le cite, c’est pour mieux souligner l’aspect indélébile du parler régional qui « ressurgit les jours de colère, de grande douleur, d’explosion de joie ». Dénigré dans les années 50, l’accent est à nouveau réhabilité, précise l’auteur, à la faveur d’un communautarisme qui impose à chacun d’être de sa région, d’en revendiquer les tonalités.

À « B », on ira tout de suite à « Bouillabaisse » pour découvrir, non pas un plat, mais « toute une civilisation ». Cette recette gastronomique, précise l’auteur, est au départ un plat pauvre, créé par des pauvres pêcheurs. Huile d’olive, oignons, ail, tomates, quelques aromates, du safran, l’écorce d’une orange, et des croûtons de pain, voilà pour l’assaisonnement. Le secret est d’y faire entrer la plus grande variété possible de poisson de roches : rascasse, grondin, vive, roucaou, saint-pierre, baudroie, congre, merlan, loup, langoustes et crabes. Autrement dit, une bonne bouillabaisse est tributaire d’une pêche miraculeuse. La soupe dans cette histoire n’est qu’un prétexte pour exalter la chair des poissons et comparer leurs saveurs.

Pour un peu d’histoire, on ira consulter sous « Phocée » les origines de la ville. Elle fut fondée par les Phocéens, « premiers Grecs à oser s’aventurer au large, au-delà des colonnes d’Hercule, imitant les Phéniciens ».

À « Marseillaise », on apprendra comment ce chant révolutionnaire créé par Rouget de Lisle à Strasbourg, comment ce « chant du Nord » est devenu un « chant du Sud ». C’est qu’à Marseille, « depuis la déclaration de guerre du 20 avril 1792, l’ébullition est à son comble. Le 2 juillet, “l’immortel bataillon des Marseillais” selon Robespierre cité par Michelet s’ébranle à l’appel de Paris ». Le 10 août 1792, les Marseillais prennent d’assaut les Tuileries en chantant ce qui devint par la suite La Marseillaise. Le roi chancelle, mais vingt d’entre eux tombent sous ses balles.

Ce dictionnaire savoureux est jalonné de personnages illustres souvent excessifs, parfois hauts en couleur. Le philosophe Gaston Berger, son fils le chorégraphe Maurice Béjart ; César l’empereur et César le sculpteur ; les caricaturistes Daumier et Dubout ; René Char dont on ne soupçonne pas l’accent dans ses poèmes, Nerval et Rimbaud, revenu à Marseille pour y mourir ;  Fernandel et bien sûr Marcel Pagnol ; Le Corbusier, ce « fada » selon l’auteur qui a cru bon, dans sa cité radieuse, annoncer la mort de la rue, mais que serait Marseille sans la rue ? 

Que serait Marseille, et l’auteur n’y coupe pas, sans l’aïoli, la criée (transformée en théâtre) et le marché aux fleurs, le pastis et l’OM, l’huile d’olive et le fameux savon ? Que serait Marseille, surtout, sans cette vocation d’accueil, ce fabuleux métissage d’immigrants qui en fait une ville aussi attachante qu’inquiétante ? Une mauvaise réputation lui colle à la peau depuis des décennies. Mais, avoue Lombard, « j’ai voulu vous rendre amoureux de Marseille ». Pari gagné !

 
 
D.R.
« Avoir l’accent, enfin, c’est chaque fois qu’on cause. Parler de son pays en parlant d’autre chose »
 
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaire amoureux de Marseille de Paul Lombard, dessins d’Alain Bouldouyre, Plon, 573 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166