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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête

Les éditions Actes Sud fêtent leurs 30 ans. Nées à Arles, sur les bords du Rhône, elles ont tracé un sillon singulier. Porte-drapeau de toutes les littératures, elles ont participé à la reconnaissance des écrivains arabes et leur consacrent une collection, «?Sindbad?», qui a tracé un fabuleux chemin.

Par Laurent BORDERIE
2008 - 03
Apparues sur la scène littéraire en 1978, la maison Actes Sud a rapidement acquis une renommée qui fait d’elle l’une des plus prestigieuses de la place. En trente ans, son fondateur Hubert Nyssen a réussi à relever un joli pari et prouvé à l’intelligentsia parisienne que l’on pouvait, à Arles, si loin de la capitale, créer une maison d’édition dont l’audience pouvait être égale à toutes celles qui demeurent installées sur les bords de Seine. «?Ici aussi, je suis sur la rive gauche d’un fleuve, mais il s’appelle le Rhône?», s’amuse à dire le fondateur historique d’Actes Sud qui, après trois décennies d’effusions et de passions littéraires, a acquis une reconnaissance sans égal ni frontières. Les romans publiés par Actes Sud se singularisent déjà par leur format qui est rapidement devenu familier aux amoureux de la littérature. Hubert Nyssen l’assume totalement, «?je voulais un livre que l’on puisse facilement prendre en main et le 10-19 centimètres s’est imposé. Plus tard, j’ai découvert que le même format existait depuis longtemps dans les pays scandinaves, je crois que l’on n'invente rien?!?». Soucieux de la mission qu’ils s’étaient fixée, à savoir faire découvrir et aimer des textes et des auteurs, Hubert Nyssen et sa petite équipe des origines ont décidé de veiller à la qualité des couvertures des romans publiés, «?parce qu’une belle créature mérite un beau vêtement?». Belle idée des éditeurs qui se retrouvent ainsi passeurs de textes et créateurs de livres. Aujourd’hui, avec 5 900 titres édités et 28 millions de livres vendus, Actes Sud a réussi à s’imposer dans le monde littéraire international.

Parce que les auteurs français, certainement attachés aux adresses parisiennes d’éditeurs qu’ils jugeaient plus prestigieux qu’un provincial, ne se pressaient pas aux portes d’Actes Sud, le choix des textes étrangers s’est imposé. Christine Le Bœuf, épouse d’Hubert Nyssen, dont le nom est attaché aux traductions de quelques-uns des plus grands auteurs anglo-saxons comme Paul Auster, Russel Banks, Jack London…, est devenue l’un des premiers traducteurs (elle tient au neutre?!) de la maison?: «?Nous recevions des livres envoyés par des agents d’auteurs étrangers. La lecture en anglais participant d’une longue tradition familiale, j’ai rapidement compris que la traduction était la chose au monde que je préférais faire. Permettre à ceux qui ne lisent pas une langue étrangère d’accéder à un texte procure un plaisir extraordinaire. Au début des années 80, Hubert Nyssen a été le premier éditeur à inscrire le nom des traducteurs sous celui des auteurs sur la une des romans, l’idée était bonne, il a souvent été imité. Je considère avec exigence l’exercice de la traduction qui doit permettre au lecteur de pénétrer un texte de la même façon qu’il le pourrait avec le texte original.?»

Cette activité de traduction a permis au public francophone de découvrir des auteurs venus des quatre coins du monde. Ainsi que le rappelait Nina Berberova à Hubert Nyssen, «?grâce à des éditions comme Actes Sud, il n’y aura bientôt plus de nationalités chez les écrivains?». C’est ce que réussit à prouver Farouk Mardam-Bey, directeur de la collection Sindbad qui promeut, dans les pas de son fondateur Pierre Bernard, la littérature arabe?: «?L’objectif de Sindbad est de banaliser le monde arabe aux yeux d’un Occident qui le connaît trop peu. Notre démarche est antighetto. La littérature arabe est nouvelle et nous avons pour mission de la faire découvrir. Le lecteur français apprécie une littérature qui lui parle, et c’est le cas. Nous sommes les témoins d’une littérature arabe jeune, frémissante, ambitieuse, multiple, féminine et malheureusement peu connue. Des auteurs comme Élias Khoury, Hoda Barakat, Hanane el-Cheikh, Alaa el-Aswany, Mahmoud Darwish sont les porte-parole de cette littérature, et lorsque L’immeuble Yacoubian est vendu à plus de 150?000 exemplaires, même dans une autre collection, nous pouvons penser que notre démarche n’est pas vaine et qu’elle prend racine. Nous publions aussi des livres de cuisine dans la collection  “L’Orient gourmand”, qui ne sont pas que des catalogues de recettes mais se posent comme des traités sur l’alimentation, le contexte social et historique de ces régions riches d’histoires et de traditions gustatives, et je revendique ces ouvrages dont j’ai souhaité la création comme des livres d’écrivains illustrés par des artistes.?» La cuisine arménienne, Les secrets d’Alep ou Damas saveurs d’une ville sont autant d’invitation à table qu’à voyager.

Ce souci de faire découvrir et partager des passions littéraires s’est peu à peu étendu à toutes les générations. En 1995, Actes Sud a créé la collection Actes Sud Juniors. L’éditrice Isabelle Péhourticq défend avec passion cette littérature?: «?Nous publions des livres pour les plus petits jusqu’aux jeunes adultes. Depuis les livres de comptines jusqu’aux polars jeunes en passant par des ouvrages qui permettent de vulgariser la religion, les tabous et les interdits sociaux ou encore de visiter le Louvre et d’effectuer un voyage éloigné des chemins balisés, nous offrons un éventail très large qui forme aussi les lecteurs. Nous évoquons aussi les problèmes sociaux ou écologiques à travers quelques titres devenus de véritables références. Actes Sud Juniors possède un studio de graphisme intégré qui nous donne une totale liberté éditoriale et nous permet de sortir des sentiers battus.?»

Trente ans après sa création dans les dépendances d’un mas provençal, Actes Sud n’a eu de cesse de remplir sa mission. Non seulement la maison compte de très nombreux départements et maisons associées, mais des auteurs étrangers et français ont trouvé dans cette structure un havre propice à la création. Ils s’appellent Nina Berberova, Raymond Jean, Paul Auster, Nancy Huston, Imre Kertész (prix Nobel 2002), Laurent Gaudé (prix Goncourt 2004 avec le Soleil des Scorta), Élias Khoury ou Alaa el-Aswany, et ont enrichi un catalogue qui compte désormais plus de 6?000 titres. Présidée par Françoise Nyssen, la maison Actes Sud maintient toujours un cap singulier qui fait d’elle une maison installée dans le panorama. «?Actes Sud s’est développée par les rencontres avec les auteurs et l’arrivée de personnes qui, rejoignant les fondateurs, ont progressivement formé notre équipage, nous confie Françoise Nyssen. Aujourd’hui encore nous n’avons qu’un objectif, le même depuis notre création, celui de publier des textes auxquels nous croyons. L’édition se construit jour après jour, pierre à pierre, depuis 1978 nous faisons le même métier avec la même passion et nous essayons de faire toujours mieux dans l’intention avouée de toucher toujours plus de lecteurs, de faire découvrir des auteurs du monde entier. Nous ne sommes pas déterminés par le marché mais par la passion, la nécessité, la conviction que tel ou tel texte doit être découvert et apprécié à sa juste mesure. Le développement d’Actes Sud a pu être concrétisé grâce à la complicité des lecteurs, des prescripteurs et des libraires, et je pense qu’il est juste de dire qu’il est d’abord le fait d’hommes et de femmes qui ont eu envie de participer à l’aventure dans un vaste esprit d’indépendance, tant à l’égard de la pression économique que de la mode, des tendances et des idées reçues. Même si elle est une véritable entreprise, une maison d’édition n’existe que par les auteurs et son catalogue et par ceux qui, les ayant rassemblés, les accompagnent. Nous sommes sans cesse gouvernés par deux mots qui sont plaisir et nécessité.?» Un objectif atteint pour les lecteurs qui éprouvent eux aussi plaisir et nécessité à lire les livres publiés par Actes Sud et découvrent avec la même passion les œuvres régulièrement publiées par cette maison à l’ambition affichée, qui leur ouvre les portes de la littérature du monde.

Pour fêter ce trentième anniversaire, de très nombreuses manifestations se dérouleront à Arles en 2008. Les amateurs de poésie attendent avec impatience la date du 14 juillet prochain, lorsqu’ils pourront applaudir Mahmoud Darwich qui donnera un récital exceptionnel dans le théâtre antique.

 
 
© M. Melki / Actes Sud
« Nous sommes les témoins d’une littérature arabe jeune, frémissante, ambitieuse, multiple, féminine »
 
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