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Enquête
Rentrée littéraire - Au bonheur des découvertes


Par Josyane Savigneau
2007 - 09
On parle toujours d’avalanche de la rentrée littéraire française, comme si ce n’était pas un plaisir. Certes, personne ne peut lire l’intégralité des 727 nouveautés de l’automne, dont 493 françaises, mais pourquoi se désoler au lieu de se mettre dans un état de disponibilité, de cultiver l’attente de ceux qu’on aime et de savourer le bonheur de la découverte ?

Pour les « poids lourds » – entendez par là les écrivains confirmés –, il faudra attendre octobre pour retrouver Philippe Sollers dans un livre de Mémoires intitulé Un vrai roman (Plon), Patrick Modiano avec un court texte, Le café de la jeunesse perdue (Gallimard). Daniel Pennac, avec un livre nourri de souvenirs, Chagrin d’école (Gallimard). Quant à Alain Robbe-Grillet, à 85 ans, il publie Un roman sentimental, non pas aux éditions de Minuit, mais chez Fayard, sous blister, et non massicoté…
En les attendant, il y a fort à faire. Deux gros livres – autour de 500 pages – de deux écrivains du même âge – autour de 40 ans – , et qui publient tous deux leur quatrième roman, sont l’un ou l’autre, ou les deux à la fois, les « coups de cœur » de beaucoup de critiques. Yannick Haenel avec Cercle (Gallimard, coll. L’infini) et Éric Reinhardt, avec Cendrillon (Stock).

Yannick Haenel a plus de grâce d’écriture, comme on l’avait déjà vu avec son précédent texte, Évoluer parmi les avalanches (Gallimard, coll. L’infini), où une déambulation dans Paris avait un charme « modianesque ». Là, il franchit encore une étape et donne un très grand livre. Son héros, Jean Deichel, décide, un matin à 8 h 07, de ne pas aller à son travail, une phrase s’imposant à lui : « C’est maintenant qu’il faut reprendre vie. » S’ensuit une errance dans Paris, une sorte de purgatoire – au sens de se purger de sa vie sociale antérieure de mort-vivant –, sous le signe de Moby Dick et d’autres œuvres d’art – et une revisitation de l’Europe – Paris, Berlin, Varsovie, Prague – pour tenter de s’éveiller de ce que Joyce désignait comme le cauchemar de l’histoire et de retrouver la trace d’une femme, danseuse chez Pina Bausch. Une magnifique odyssée de l’esprit et du corps, un va-et-vient incessant entre la catastrophe et la jouissance.

Avec Cendrillon, Éric Reinhardt se confronte à tous ses doubles, à ceux qu’il aurait pu être s’il n’avait pas rencontré, très tôt, la femme de sa vie. Comme souvent chez lui, il y a une réflexion sur l’humiliation, sociale et psychologique. Mais les humiliés ne sont pas nécessairement sympathiques, ils sont les morts-vivants auxquels le héros de Haenel essaie d’échapper, ceux qui sont étouffés par la réalité et que Reinhardt décrit sans complaisance.
En prélude aux Belles étrangères libanaises, il faut lire d’urgence Caravansérail, de Charif Majdalani, (Seuil), qui fait mieux que transformer l’essai réussi avec l’ Histoire de la grande maison (Seuil), en donnant un très beau texte de mémoire et de rêve.

Amélie Nothomb, avec un roman nippon, Ni d’Ève ni d’Adam (Albin Michel), est dans sa bonne veine, celle de Stupeur et tremblements (Albin Michel), et son éditeur va certainement la pousser pour le Goncourt, que des journalistes pressés donnent déjà à « l’événement » de la rentrée, le livre de Yasmina Reza, l’Aube le soir ou la nuit (Flammarion/Albin Michel), récit personnel de la campagne de Nicolas Sarkozy, qu’elle a suivie. C’est très impressionniste, plein de notations et de détails très justes sur ce fou de conquête du pouvoir, qui apparaît aussi comme un vieil enfant sinistre. Cela va certainement se vendre beaucoup et être assez vite oublié.
On pourra alors retourner vers ceux qui construisent une œuvre et découvrir les nouveaux Éric Chevillard (Minuit), Antoine Volodine (Seuil), Alain Fleischer (Seuil et Cherche Midi), Linda lê (Bourgois), Pierre Bergounioux (Verdier), Richard Millet (Gallimard), Charles Dantzig (Grasset), Georges-Olivier Châteaureynaud (Grasset), Philippe Claudel (Stock), François Bégaudeau (Verticales), Olivier Adam (éd. de l’Olivier)…

Après une excellente évocation romanesque des derniers jours de T.E. Lawrence, l’an dernier chez Gallimard, Patrick et Olivier Poivre d’Arvor se sont un peu perdus dans J’ai tant rêvé de toi (Albin Michel), avec leur jeune héroïne, anorexique et nymphomane, à la recherche d’un père supposé, sous le signe de Robert Desnos…

Quant à Marie Darrieussecq, avec son huitième roman, Tom est mort, elle est de nouveau accusée de plagiat, comme il y a quelques années, dans son affrontement avec Marie Ndiaye. Cette année, c’est Camille Laurens (publiée comme elle par POL et tout nouveau membre du jury Femina), qui, dans La Revue littéraire (éd. Léo Scheer, où l’on trouvera aussi d’excellents entretiens avec Yannick Haenel et Éric Reinhardt), considère que Tom est mort est un « plagiat psychique » de son court récit de 1995, Philippe (POL), sur la mort de son enfant. Le texte de Camille Laurens est très intéressant, mais sauf à être un passionné de la littérature de Darrieussecq, on délaissera vite ce sujet pour aller découvrir ou redécouvrir de bons auteurs, comme Grégoire Polet ou Vincent Delecroix (Gallimard), ou, pour finir sur un gros roman, le passionnant Le soleil se couche à Nippori, de Jean Pérol (éd. de la Différence).

 
 
 
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