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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête

Si l’envie de suivre une émission littéraire à la télévision vous prenait, vous auriez de très fortes chances d’être cruellement déçu. La définition «?véhicule de culture?» qu’attribuait autrefois Jawad Boulos à la télévision semble dépassée. Enquête sur la place du livre dans le paysage télévisuel libanais.


Par Rana KHOURY
2007 - 09


Rares sont, de nos jours, les émissions littéraires à la télévision libanaise. À part les quelques minutes occasionnellement consacrées à de nouvelles parutions sur les émissions matinales comme Nharkom Saïd, Aalam al-sabah ou Sabah al-Arabiya, il existe une brève chronique intitulée «?Kel yom kteb?» (Un livre par jour) sur la chaîne al-Arabiya, l’émission de Zaven, Siré wou nfatahét sur la Future TV, qui propose de temps en temps un «?club des livres?» où un écrivain rencontre son public, ou encore l’émission de Georges Labaki sur Télé-Lumière qui reçoit régulièrement des auteurs pour discuter des dernières publications. De son côté, Télé-Liban propose Sabah el-Kheir, une émission culturelle matinale qui, selon son responsable Abido Bacha, affiche un taux d’audience bien plus que respectable. Sabah el-Kheir présente non seulement les dernières parutions en arabe, mais également des livres en anglais ou en français. Le constat est d'autant plus affligeant que les sites Internet des chaînes passent en revue toutes sortes de programmes politiques, économiques ou sportifs (il existe même une catégorie «?religion et ramadan?»?!) mais, inexplicablement, font l’impasse sur la rubrique «?culture?». Il y a une dizaine d’années, dans une entrevue à L’Orient express, le PDG de la LBCI, Pierre el-Daher, annonçait déjà le déclin que l’on observe à l’heure actuelle. À la question?: «?Votre grille donne l’impression que le souci commercial prime tout maintenant. Vous privilégiez les feuilletons mexicains et les émissions de variétés, vous avez très peu de programmes culturels […] Est-ce votre choix personnel???», il avait répondu?: «?Nous sommes une télévision commerciale et notre but est l’autofinancement, qui est le moyen de sauvegarder notre indépendance […]. C’est pourquoi nous devons nous adapter au goût du grand public, en restant attentifs au taux d’audience. C’est malheureux, mais c’est comme ça.?»

Responsabilités partagées


À qui incombe la responsabilité de cette situation?? Aux téléspectateurs tout d’abord?: si le culturel faisait recette, les chaînes de télévision en déborderaient. Mais hélas, et ceci n’est ni un phénomène récent ni propre au monde arabe, la télévision reste prioritairement un outil de divertissement. L’émission culturelle animée par Abbas Beydoun Icharat vers la fin des années 90 sur Télé-Liban était largement distancée au niveau des taux d’audience par le feuilleton al-Assifa tahub marratayn. De cette désaffection pour la culture, nombre d’émissions ont fait les frais, de même que certaines chaînes à visage culturel, comme la chaîne francophone C33, condamnée à la fermeture. Autre prétexte pour justifier la baisse du culturel?: l’engouement pour la politique. Non seulement le public est assoiffé de talk-shows politiques, mais les chaînes de télévision sont également de plus en plus instrumentalisées. Tout se passe, en somme, comme si, à défaut de s’entre-tuer dans la rue, les Libanais se faisaient la guerre par médias interposés?!


Résistances

Reste qu’un certain public, quoique minoritaire, s’intéresse encore à la culture. Vers la fin des années 90, Hiwar al-omr affichait un taux d’audience des plus élevés dans le monde arabe. De même,  Rawafed avec Ahmad Ali al-Zein sur al-Arabiya et  Karib Jeddan avec Joseph Issaoui sur al-Hurra, qui proposent des biographies d’écrivains et d’artistes, affichent un taux d’audience très respectable. En réalité, l’offre doit créer la demande, et non pas en rester l’esclave. Le public peut être initié à aimer la littérature. Tout dépend de la façon de lui présenter les livres ou les écrivains, de manière attrayante et captivante, en sortant des schémas convenus et des sentiers battus. Il est vrai que les billets verts se feront moindres, mais à long terme, cette initiative peut cibler un marché qui n’est guère exploité. Par ailleurs, il est dommage que la plupart des lois sur l’audiovisuel dans le monde arabe n’obligent pas les chaînes locales à diffuser un minimum d’émissions littéraires ou ne soient pas convenablement appliquées, comme c’est le cas au Liban. Or un quota pour les programmes culturels conviendrait aux amateurs de culture et, par la même occasion, aiderait à éduquer les citoyens. Cela dit, si les téléspectateurs et les directeurs de chaînes sont à blâmer, il n’en demeure pas moins que le monde littéraire assume lui aussi sa part de responsabilité. Il existe en effet, dans les milieux intellectuels, un certain «?dédain du commercial?». Les femmes et hommes de lettres préfèrent se construire un monde underground qui demeure abscons pour le grand public. Or les exemples d’un Jean d’Ormesson ou d’un Philippe Sollers qui se prêtent volontiers au jeu médiatique prouvent qu’on peut aisément être un grand écrivain et apprivoiser la télévision. Si la culture ne sait pas être populaire, pourquoi le peuple s’y intéresserait-il ?

 
 
L'offre doit créer la demande et non pas en rester l'esclave
 
2020-04 / NUMÉRO 166