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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête
Lamartine, entre Bourgogne et Orient
La Bourgogne, région française connue pour ses vins, est aussi le berceau d’artistes, musiciens, écrivains prestigieux, dont Alphonse de Lamartine. L’Orient Littéraire est parti sur les traces de ce poète qui visita et aima le Liban.

Par Valérie Julien
2015 - 09
Né à Mâcon dans le sud de la Bourgogne, Lamartine passe son enfance dans la maison de Milly. Heureux, entouré et aimé par une mère qui l'initie très jeune à la religion, il quitte le cocon familial pour étudier au collège de Belley, puis revient en gentleman farmer et séducteur sur ses terres, la maison de Milly étant son héritage. Parti quelque temps à Aix-les-Bains en Savoie pour se reposer, il y rencontre une jeune femme mariée, Julie, dont il tombe éperdument amoureux et qui, malheureusement, meurt très tôt. Sous la plume de Lamartine, Julie deviendra Elvire, l'héroïne de ses Méditations. Le succès de son œuvre poétique fait de lui un homme connu. En 1820, il épouse Mary-Ann Birch qui lui donnera deux enfants : Alphonse en 1821 (il mourra en 1822) et Julia en 1822. Lamartine devient alors attaché d’ambassade à Naples et reçoit comme cadeau de mariage le château de Saint-Point qui deviendra sa demeure familiale.

Le voyage au Liban 

En juillet 1832, alors que sa fille est atteinte d’une tuberculose pulmonaire, il décide de voyager en Orient avec sa famille et trois amis pour découvrir les lieux saints qui lui sont chers : « Je brûlais donc, dès l’âge de 8 ans du désir d’aller visiter ces montagnes, où Dieu descendait » écrira-t-il. Son amour pour l’Orient est presque inné chez lui, au point qu’il prétendra descendre des sarrasins, du nom d’Allamartine !

Alors qu’il vient d’être battu aux élections législatives, Lamartine embarque donc sur L’Alceste, une frégate à voiles, femme, enfant, amis et une vingtaine d’hommes d’équipages, sans oublier sa bibliothèque. Il espère que ce voyage sera bénéfique à sa fille malade. « Toute ma vie l’Orient avait été le rêve de mes jours de ténèbres dans les brumes d’automne et d’hiver de ma vallée natale », affirme-t-il. Un voyage rêvé et somptueux attend la famille : la Grèce, Malte, Chypre, le Liban, la Palestine, et Damas, Constantinople et les Balkans. Homme charismatique et brillant, Lamartine aime analyser le fonctionnement d’une société et s’avère, dès le départ de son voyage, un homme critique, ne s’émerveillant pas à chaque instant. Il revient ainsi fort déçu par Athènes et le Parthénon qui « (…) ne répond en rien à ce qu’on en attend ». Pendant que L’Alceste poursuit sa navigation, Alphonse de Lamartine en profite pour lire l’histoire du Liban.

Les voyageurs arrivent à Beyrouth le 6 septembre 1832, accueillis par le drogman Félix-Guillaume Jorelle, qui gère provisoirement le consulat. Le Liban est une révélation pour Lamartine qui loue deux maisons, une en ville (une plaque à Achrafieh témoigne encore de son passage) et une à la campagne où il installe sa famille, ses amis et six domestiques. C’est à partir de là qu’il va explorer la Palestine, la Syrie et bien sûr Jérusalem, où la peste fait rage, et le Saint-Sépulcre, haut lieu de la chrétienté. Mais un grand malheur interrompt son voyage : Julia, sa fille chérie, s’éteint le 7 décembre 1832. Cette tragédie lui inspire le poème « Gethsémani ou la mort de Julia », dans lequel il hurle son désespoir et sa révolte. Il l’intégrera par la suite dans son récit du Voyage en Orient.

Le poète poursuivra son expédition l’âme en peine et le cœur lourd. Il en rapportera Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient ou Notes d’un voyageur qui constitue un carnet de voyage personnel : « Les notes (…) je les livre à regret ; elles ne sont bonnes à rien qu’à mes souvenirs ; il n’y a ni science, ni histoire, ni géographie, ni mœurs ; le public était bien loin de ma pensée quand je les écrivais. » Les trois tomes qui composent cette œuvre reflètent l’esprit ouvert d’Alphonse de Lamartine qui compare sans cesse l’Orient et l’Occident. Il rencontre de nombreuses personnalités dont la fameuse Lady Esther Stanhope. Celle que l’on surnomme « la reine de Palmyre », ruinée, vit recluse sur les hauteurs des montagnes du Liban, refusant toute visite. Opiniâtre, Lamartine réussit à la rencontrer et raconte dans ses notes leurs échanges passionnants.

À son retour d’Orient, Lamartine participe à la Révolution de février 1848 et proclame la IIe République. Il quitte définitivement la politique la même année après sa lourde défaite aux élections présidentielles. Il vend en 1860 son domaine de Milly. Complètement ruiné, il n’écrit plus que des ouvrages pour subvenir à ses besoins. Il meurt à Paris en 1869 à 79 ans, laissant derrière lui une œuvre monumentale.

L’héritage bourguignon 

Que reste-t-il de Lamartine en Bourgogne ? La maison de Milly où il a passé son enfance et « laissé son cœur » n’a pas changé. À quelques kilomètres de là, s’élève le château de Saint-Point datant du Moyen âge. Lamartine le remania en construisant, entre autres, deux tours et aménagea des jardins à l’anglaise. Le château est resté tel quel et on peut y trouver plusieurs vitrines constituées d’éditions originales des Méditations et du Voyage en Orient. Les meubles de son cabinet de travail ont gardé leur disposition initiale. En 1829, Lamartine fit construire un tombeau tout près de la petite église romane. Il y repose aux côtés de sa mère, de ses enfants et de sa femme. Le château de Saint-Point lui rappelant trop le douloureux souvenir de Julia, le poète se retira au Château de Monceau, hérité de sa tante et situé au cœur du vignoble mâconnais. Lamartine y construisit un petit pavillon bucolique, nommé « Solitude », où il rédigea son Voyage en Orient à son retour.

Le musée Lamartine situé à l’hôtel Senecé à Mâcon a été acquis par l’Académie de Mâcon en 1969, pour le centenaire de la mort de Lamartine ; il abrite aujourd’hui des documents relatant le passé politique et littéraire du poète avec un ensemble de gravures, tableaux, sculptures, et documents graphiques. Mâcon a d’ailleurs toujours gardé un lien privilégié avec le Liban. En partenariat avec l’Académie, la ville s’est jumelée avec Hammana, où Lamartine séjourna pendant son voyage oriental. Il passa quelques semaines dans la demeure des Mezher, et ce souvenir lui inspira cette réflexion : « Un des plus beaux coups d’œil qu’il soit donné de jeter sur l’œuvre de Dieu est la vallée d’Hammana ». Le passage de Lamartine en Orient reste encore fort dans les mémoires et continue à vivre grâce à cet échange qui permet tous les deux ans à des écoles libanaises de visiter les lieux lamartiniens et de participer à l’événement « La poésie dans ma ville ». En souvenir de l’amitié qui liait le poète au Liban, un cèdre a été planté en 2011 sur les bords de Saône où a vécu ce romantique amoureux des mots, grand voyageur de l’âme et du corps, qui, grâce à son Voyage en Orient, continue à nous transporter dans ce qui fut très certainement son plus beau périple.




 
 
Lamartine par Henri de Caisne, 1839, musée de Mâ
 
BIBLIOGRAPHIE
Voyage en Orient de Alphonse de Lamartine, édition établie par Claude Pinganaud, Arléa, 2008, 676 p.
 
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