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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Du 28 novembre au 11 décembre 2008, le 52e Salon arabe et international du livre de Beyrouth s’installe au BIEL. Comment se présente-t-il?? Quels en sont les moments forts et les lacunes?? Enquête sur le terrain.

Par Fifi ABOU DIB
2008 - 12
«Labyrinthique?». Le mot est sur toutes les lèvres. Sans guide, sans plan (où est le catalogue??), sans signalétique, le lecteur se perd dans les dédales d’un Salon qui accueille un trop grand nombre de stands. Certains, exigus, sont introuvables?; d’autres, immenses, sont incontournables, comme celui de l’Arabie saoudite, inauguré par l’ambassadeur Abdel-Aziz Khoja en personne. Le stand du royaume occupe en effet l’un des plus grands espaces du Salon. Derrière une haie de palmiers artificiels piqués de dattes, les rayonnages proposent des livres religieux, mais aussi des éditions luxueuses de récits de voyages, des manuels de psychologie et de technologies diverses. Parmi les exposants arabes (au total 31 maisons d’édition), on compte aussi la Jordanie, Abou Dhabi, le sultanat d’Oman, le Koweït, l’Égypte, la Palestine et la Syrie. Mais hormis les stands syriens, palestiniens et égyptiens, plutôt fournis, les autres boxes arabes sont surtout des points de rencontre et d’échanges.


Un Salon d’éditeurs

Dans ce Salon d’éditeurs (à la différence du Salon du livre francophone, organisé au même endroit un mois plus tôt, qui accueille principalement les libraires), la production libanaise (151 participants) domine naturellement. D’emblée, le vaste espace occupé par l’anglo-libanais Saqi, fondé par André Gaspard et Mai Ghossoub, donne l’image soignée d’un éditeur à l’européenne?: belle conception graphique des catalogues et des ouvrages, auteurs éclectiques. Les rayonnages inférieurs sont occupés par les  beaux livres  des éditions Taschen dont Saqi est le distributeur régional. Le soir de l’ouverture, c’est Zena el-Khalil (dont le blog sur le Liban a été cité pendant la guerre de 2006 par CNN et la BBC) qui signait Beirut, I love you.
Plus loin, au cœur géographique du Salon, Ryad el-Rayess consacre son espace au poète palestinien Mahmoud Darwich récemment disparu, offrant même une plaquette inédite au visiteur. L’événement majeur pour cet éditeur attaché à la qualité littéraire de ses publications est, cette année, la parution d’une Histoire des familles d’Orient  en 7 volumes totalisant près de 3 000 pages. L’auteur, Issa Iskandar Maalouf, cosigne le volet libanais avec Fawaz Traboulsi.

À côté, les éditions Dar an-Nahar, déjà présentes au Salon du livre francophone, annoncent la signature d’une dizaine d’ouvrages. Histoire (notamment un nouvel ouvrage sur Baakline), politique et poésie… il y en a pour tous les goûts. Mouchir Aoun signera le 5 décembre son ouvrage Religion et politique. Un débat est prévu auquel participeront le P. Georges Massouh, le député Farid el-Khazen et Radwan Sayyed. Le 9 décembre, Mgr Georges Khodr, Nabil Khalifé et Hani Fahs discuteront de l’ouvrage de Kamal Dib Ce vieux pont/Chute du Liban chrétien??  Le 10 enfin, Charif Majdalani signera la version arabe de son roman Histoire de la grande maison.

Au stand des éditions de la librairie Orientale, le nouveau Grand Mounged franco-arabe, dictionnaire bilingue, qui a nécessité trois années de travail, affiche fièrement ses couleurs vives. Premier en librairie à fournir la traduction des nouveaux termes techniques et scientifiques relatifs tant à la botanique qu’à la génétique, la géographie ou l’informatique, le Mounged affiche une ambition encyclopédique.

Parmi une multitude de petites et de grandes maisons qui, à défaut d’offrir des œuvres originales, impriment des traductions de best-sellers américains, des manuels de médecine douce, de psychologie à l’usage des familles, de cuisine, d’astrologie, ou des livres de jeunesse, les universités sont également présentes?: USJ, AUB, UL… les couvertures sobres des thèses brochées envahissent les rayons. Les sujets traités couvrent essentiellement le domaine des sciences humaines.

Mondialisation et censure

Le public est heureusement au rendez-vous de cet événement, preuve que Beyrouth reste une «?capitale du livre?»?: les bus déversent chaque jour des milliers de visiteurs, venus des quatre coins du Liban, mais aussi de Syrie et de Jordanie. Mais le Salon mérite-t-il le qualificatif «?international?» ajouté à «?arabe?»?? C’est là où le bât blesse?: le volet mondial de cet événement est en réalité congru et se limite pratiquement à une coopération avec l’Institut culturel italien qui occupe un stand. Cela, à l’évidence, ne suffit pas à internationaliser le Salon qui peine encore à s’imposer à l’échelle planétaire, à la différence de la Foire de Francfort qui, d’ailleurs, n’a pas jugé bon de participer cette année, préférant se concentrer sur le Salon d’Abou Dhabi qui, lui aussi, peine à attirer des exposants étrangers. Faut-il jumeler le Salon arabe avec le Salon francophone pour s’ouvrir au moins aux éditeurs de la francophonie?? La question mérite d’être débattue. Abordant la question de l’internationalisation au cours d’un colloque sur l’édition arabe, organisé le 1er décembre dans le cadre du Salon, le secrétaire général de l’Union des éditeurs arabes, Bachar Chébaro, a considéré que les Arabes doivent commencer à s’ouvrir au monde s’ils veulent que le monde vienne à eux?: «?Il est temps que le livre arabe se mondialise, tant au niveau de la création, que de l’édition et de la distribution, il est temps de mettre en valeur notre production et nos auteurs pour montrer le visage humaniste de la civilisation arabe.?»

Reste que le grand sujet de satisfaction est l’absence de censure. Contrairement à ce qui se passe au Koweït ou en Égypte où des ouvrages ont été retirés des stands manu militari sous prétexte qu’ils étaient religieusement ou politiquement incorrects, la liberté ici est totale. Le Salon du livre de Beyrouth est même l’occasion pour certains connaisseurs de se procurer des ouvrages interdits ou vendus sous le manteau dans d’autres pays arabes. Les débordements sont rares?: un des exposants a pourtant l’outrecuidance et le mauvais goût de distribuer des portraits d’Adolf Hitler et de faire la promotion de Mein Kampf dans sa version arabe. Un petit homme rondouillard, tout de noir vêtu, vous aborde d’un air faussement débonnaire et vous demande ce que vous savez du Führer. «?Mazloum, c’est un incompris?», affirme-t-il le plus sérieusement du monde. Lamentable. Collé à ce stand, un box de propagande palestinienne proclame avec assurance?: «?Nous reviendrons?». On se dirige vers la sortie en se disant que, décidément, politique et littérature ne feront jamais bon ménage...

 
 
D.R.
Dans ce Salon d’éditeurs, la production libanaise domine naturellement.
 
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