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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les Fleurs du mal lues par Michel Piccoli, Du côté de chez Swann récité par Michaël Lonsdale, Un cœur simple de Flaubert déclamé par Fabrice Luchini, les livres ne se lisent pas seulement, ils s’écoutent aussi. Petite vague dans l’océan de l’édition littéraire, le livre audio prépare son avenir en misant sur le téléchargement. Il pourrait faire plus de remous qu’on ne le pense.

Par Lucie GEFFROY
2007 - 02
Le livre audio a longtemps souffert d‘une image poussiéreuse. Traditionnellement destiné aux enfants friands de contes, aux malvoyants et aveugles, aux personnes du troisième âge ou aux étudiants désireux d’apprendre une langue étrangère (méthodes de langues Assimil ou autres), il s’ouvre depuis quelques années à un public plus large, en touchant non seulement les automobilistes?ou voyageurs qui profitent de leurs trajets pour écouter une œuvre et les femmes au foyer qui voudraient se distraire ou se cultiver tout en vaquant aux travaux ménagers, mais aussi les amateurs de littérature qui veulent s’offrir une nouvelle façon d’aborder des textes littéraires qu’ils connaissent déjà?: le comédien – car ce sont souvent des comédiens qui lisent les textes – fait ressortir des sonorités, des rythmes, des images qu’on n’avait pas forcément perçus auparavant. Quant au plaisir d’entendre l’enregistrement d’un grand écrivain lisant son propre texte, il se révèle encore plus intense et crée entre auteur et auditeur une certaine familiarité que l’écrit ne procure pas. «?L’écoute renvoie aux joies de l’enfance, où on se laissait bercer par une voix qui racontait une histoire?», ajoute Ronald Wood, fondateur des éditions De vive voix.?

Un choix de plus en plus vaste

À parcourir la production des différents éditeurs de livres audio, il faut admettre que les critiques habituelles qui taxent le livre audio de «?sous-produit du livre?» ou de vulgaire ersatz de bouquin ne tiennent plus. À l’automne dernier, les éditions Thélème, spécialisées en littérature classique, ont sorti l’intégrale d’À la recherche du temps perdu dans un coffret de 111 (!) CD, déjà «?collector?» pour les passionnés de Proust. Petite maison d’édition, De vive voix a, quant à elle, fait un effort remarqué sur l’aspect graphique des couvertures – colorées et originales –, ainsi que sur le choix des récitants. «?Il faut trouver la bonne alchimie entre une voix et un texte. Marie-Christine Barrault lisant Borgès, ça ne marche pas. Avec Michel Piccoli, au contraire on se rapproche d’une sorte d’évidence?», remarque Ronald Wood.

En France, une vingtaine de maisons d’édition sont spécialisées dans le livre audio et cultivent leur spécificité. Considérées comme leader dans le secteur, les éditions Frémeaux ont, entre autres, une vocation patrimoniale, celle de rendre disponibles les grands textes littéraires lus par les auteurs eux-mêmes. C’est ainsi qu’ont été ressortis des tiroirs de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) L’Étranger lu par Albert Camus ou encore La Gloire de mon père interprété par Marcel Pagnol. Dans le même registre, Harmonia Mundi propose, à l’initiative d’Olivier Germain-Thomas, Voix de poètes où 14 auteurs (Prévert, Supervielle, Breton, Colette, Céline…) disent eux-mêmes leurs textes, document précieux qui n’est pas sans rappeler Tonalités, une ancienne anthologie sonore des littératures francophones (où Georges Schehadé côtoyait Senghor, Kateb Yacine et Ionesco), et l’excellent Poetry Speaks, édité par Sourcebooks MediaFusion, où les plus grands poètes d’expression anglaise (Walt Whitman, T.S. Eliot, W.B. Yeats…) récitent leurs propres poèmes. D’autres maisons d’édition privilégient les classiques (Le Prophète de Khalil Gibran ; Lettres à un jeune poète de Rilke lu par Catherine Deneuve) ou les titres contemporains comme Harry Potter, Da Vinci Code, Le Nom de la rose, Suite française d’Irène Nemirovsky ou La Première gorgée de bière de Philippe Delerm... Même les associations s’en mêlent?: dans le prolongement des activités de l’association «?Lire et faire lire?», créée par l’écrivain Alexandre Jardin en 1999 pour transmettre aux enfants le goût de la lecture par le biais de retraités bénévoles qui font des lectures dans les écoles, l’association «?Lire dans le noir?» enregistre sur CD audio des livres qui viennent de paraître pour les rendre accessibles aux aveugles et aux malvoyants. Deux collections ont été lancées : d’une part, des livres gratuits, offerts aux bibliothèques qui en font la demande, d’autre part des ouvrages destinés à la vente, notamment des nouveautés littéraires ou des essais abordant les grands sujets de société…

Les limites du secteur

Malgré des progrès certains, le marché du livre audio n’en reste pas moins un «?microsecteur?». Dans la plupart des librairies, il représente à peine 1% des ventes. «?Tous les ans, environ 200 titres nouveaux apparaissent dans ce secteur. Généralement les ventes ne dépassent guère les quelques milliers d’exemplaires », souligne Laurence Deschamps, chargée du rayon littérature à la FNAC forum, à Paris. Sauf exception. Dernièrement, La contre-histoire de la philosophie, de Michel Onfray aux éditions Frémeaux a connu un vif succès. Plus de 300 000 exemplaires en ont été vendus. D’aucuns ont aussitôt parlé de «?l’effet Onfray?» qui aurait popularisé le produit CD audio auprès du grand public. Mais du côté des libraires, on y a surtout vu un épiphénomène, démontrant par ailleurs qu’en matière de livres audio, les titres d’histoire (comme les discours du général de Gaulle) ou de sciences humaines sont globalement plus prisés que les romans ou les textes purement littéraires.

Au Liban, les livres audio importés suscitent un intérêt grandissant?: jusque-là commercialisés par quelques disquaires, ils sont désormais exposés sur des présentoirs spéciaux dans la plupart des grandes librairies du pays. À la Librairie Antoine, par exemple, les CD littéraires, historiques ou destinés à la jeunesse (comme la collection Gallimard) sont disposés en bonne place, à l’entrée, pour mieux attirer l’attention du client. Mais les éditeurs libanais semblent assez frileux?pour s’engager dans ce domaine, sans doute à cause du piratage qui pollue le paysage audiovisuel de la région : en langue française, on trouve aux éditions Hatem des cassettes reprenant des ouvrages pour la jeunesse parus dans la collection «?Écologie?» ; en arabe, ici et là, des livres audio pour l’apprentissage des langues ou, dans un registre voisin, les pièces de théâtre de Ziad Rahbani, très recherchées par son vaste public. En Palestine, tout récemment, a été lancé un projet ambitieux de création d’une audiothèque riche de cent heures de morceaux choisis de la littérature arabe. Destinée aux personnes malvoyantes, aux analphabètes, aux écoliers des territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, mais aussi aux radios palestiniennes qui souhaitent enrichir leurs programmes culturels et éducatifs, cette louable initiative financée par l’Institut des médias de l’Université de Bir Zeit et par le Programme international de l’Unesco pour le développement de la communication réunira des textes d’écrivains d’Égypte, du Liban, d’Irak, de Palestine, de Syrie et du Maghreb, comme Khalil Gibran, Taha Hussein ou al-Manfalouti, enregistrés sous format numérique MP3. L’idée semble avoir fait son chemin puisque 21 chaînes de radio locales ont décidé de proposer des émissions réalisées à partir de cette audiothèque et que les écoles palestiniennes (dont neuf pour aveugles) y ont répondu favorablement?!

L’avenir au téléchargement


Modernisme oblige, le livre audio devra composer, dans les années à venir, avec la mort annoncée de l’objet CD. Celui-ci pourrait progressivement disparaître au profit du téléchargement numérique via Internet. Filiale de France Loisirs, Audible a donné l’impulsion dès 2004 en vendant du téléchargement de livres audio. Depuis, la plupart des éditeurs (Livraphone.com?; Livrior.fr?; Numilog.fr?; Voolume.fr?; etc.) s’y mettent. En novembre, Frémeaux a lancé son propre site de téléchargement tandis que De vive voix vient de faire numériser tous ses titres par Virgin et Numilog. «?Lorsqu’on a lancé notre collection, il y a deux ans, on savait très bien que le relais du téléchargement arriverait rapidement, explique Paule Du Bouchet, responsable de la collection «?Écoutez Lire?» chez Gallimard. Je ne crois pas du tout au livre numérique, mais je suis persuadée qu’en format MP3 ou autre, le livre audio a de très beaux jours devant lui.?» L’importance croissante de l’audio comme support de contenu à travers les podcasts et l’utilisation toujours plus massive de lecteurs MP3 tels que le Ipod ont tendance à donner raison à ces prédictions. Sans compter que, comparé au disque, le téléchargement, permet de vendre plus d’heures d’écoute pour moins cher. Signe flagrant de cette évolution?: depuis quelques mois, le site Internet de la SNCF, l’un des plus visités en France, propose gratuitement à ses internautes des «?webcast?» littéraires, des extraits de livres ou œuvres intégrales à télécharger. Dans les librairies sonores du futur, les CD audio feront office d’incunables?!

 
 
© Alexandre Medawar
« L’écoute renvoie aux joies de l’enfance, où on se laissait bercer par une voix qui racontait une histoire  »
 
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