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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Editorial
Frankenstein


Par Alexandre Najjar
2015 - 12
Le monstre de Frankenstein, créé par la romancière Mary Shelley en 1818, ressemble étrangement à Daech, devenu l’ennemi public numéro un depuis les lâches attentats de Paris, perpétrés quelques heures seulement après la boucherie survenue à Beyrouth. Comme le géant de huit pieds fabriqué par le docteur Victor Frankenstein à partir d’ossements et de lambeaux de cadavres déterrés au cimetière, l’État islamique n’a pas été façonné ex nihilo?: c’est un patchwork composé de repris de justice libérés des prisons syriennes, de mercenaires de tout poil, venus aussi bien de Tchétchénie que de Belgique, de paumés endoctrinés et de laissés-pour-compte de l’après-Saddam… Comme dans le roman gothique de Shelley, il a été construit par des apprentis sorciers irresponsables, à savoir le régime d’Assad, soucieux de diaboliser l’opposition, les États-Unis qui n’ont pas su tirer des leçons de leurs fiascos en Afghanistan et en Irak, certains pays du Golfe, bien connus pour leur soutien à l’islamisme radical, et la Turquie, nostalgique d’un Empire ottoman révolu. Comme la créature de Shelley, qui s’exprimait dans un langage décalé, les éléments de Daech se démarquent de leurs congénères, tiennent un discours déphasé et revendiquent un obscurantisme primitif. On connaît la suite?: le monstre, baptisé Boris Karloff au cinéma, échappe à son créateur inconscient et dépassé par les événements. Pris de haine, mû par une sourde vengeance contre l’espèce humaine, il sème la terreur dans le monde pour «?créer le désespoir?»… «?Je ne voyais en cet être que j’avais déchaîné au milieu des hommes, doué de la volonté et de la puissance de réaliser des projets horribles, que mon propre vampire, mon propre fantôme libéré de sa tombe?», admet le docteur Frankenstein qui décide alors de traquer sa créature jusqu’au pôle Nord.

Ce que le roman de Shelley ne raconte pas, c’est la mort du monstre de Frankenstein. L’anéantissement nécessaire de l’État islamique n’est pas pour demain. Trop d’intérêts contradictoires en jeu et de frilosité de la part des grandes puissances qui hésitent à envoyer des troupes au sol?; trop d’espaces à reconquérir, d’alliés infréquentables, de complicités secrètes, de sympathies locales, de voisins bienveillants, d’armes dans la nature, de fanatiques prêts à tout, de loups solitaires embusqués en Occident… «?Personne, dans ma génération, n’en verra le bout?», nous prévient Amin Maalouf dans Le Point. Il a raison?: la route sera longue, le trajet douloureux. Il faudra songer un jour à juger le docteur Frankenstein. Au nom des victimes de sa créature.

 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166