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Dans La demeure du don, Paul Saadé traite de la place du don dans la relation parents-enfant et de ce que l’amour lui doit et réciproquement. Un ouvrage essentiel où la réflexion sur ce que l’auteur nomme «?le paradoxe du don?» ne perd pas de vue une réalité souvent marquée par la violence des liens. 

Par Ritta Baddoura
2014 - 07
Développer une pensée sur le don à l’heure de tant de difficultés de se constituer à l’échelle de l’individu ou du groupe relève d’une belle gageure. Paul Saadé s’engage dans ce chemin et signe un ouvrage dense et fertile, riche d’une réflexion exigeante. La pensée et le débat, qui ne sauraient pour nombre de pages s’affranchir de terminologies philosophiques, anthropologiques et psychanalytiques, ne s’enferment pas dans la tour de l’intellect et s’imprègnent de vues puisées dans la réalité ou l’actualité, ce qui leur donne une portée concrète. La demeure du don ne fige pas la pensée dans des modèles rigides et n’hésite pas à souligner ce qui capture le don, souvent «?au nom de l’amour?», dans la spirale de l’emprise et de la destruction. Le don comme essence de l’amour, de la possibilité d’être soi et de la transmission à travers les générations?; le don comme fondement de l’éducation, tels sont les points de départ des questions posées à Paul Saadé.

Pourquoi avoir choisi de réfléchir à la notion du don et qu’est ce que le don engage selon vous??

Ma réflexion part de la clinique de l’être humain, de celui dont on peut dire qu’il est fils ou fille, de ce qui est nécessaire pour qu’il y ait fils ou fille?; une condition humaine qui a perdu de son évidence. Une longue pratique médicale d’écoute et de consultation m’a fait découvrir qu’il y a dans notre société excès de médicalisation. Le malaise sociétal est de l’ordre du désir; l’humain ne peut être réduit à un objet de besoin. Justement, le don approché et élaboré à partir d’un ancrage anthropologique et psychanalytique, engage l’humain à des gestes et à des paroles qui inscrivent charnellement le lien filial. Ainsi, par un acte symbolique, le don rompt avec les déterminismes généalogiques.

Le contexte socioculturel actuel, notamment libanais, donne-t-il à la question du don un éclairage particulier??

Les parents au Liban ne laissent pas leur fils ou leur fille se délier d’eux ou exister en une place différente, distincte et unique. La différence est attaquée par la possession. Or, le don de ce que l’on n’a pas, le don de son propre manque sont la marque de l’amour. Reconnaître la singularité du fils, de la fille, suppose une adoption par le langage?: nous devenons fils, fille, par une nomination, par un accueil qui est en excès, et donc don, des parents. Le contexte libanais accapare la condition filiale jusqu’à l’étouffement au nom de l’amour. Très souvent dans ce cas, l’horizon d’une vie différente de celle vécue ou imaginée par les parents pour leur enfant, se trouve bloqué et la naissance véritable à une parole propre entravée.

Vous parlez dans votre ouvrage à plusieurs reprises de la différence. Pouvez-vous nous dire en quelques mots son importance pour le don??

L’investissement du sujet filial – ou la reconnaissance de l’enfant comme descendant par le lien filial – comporte un pôle structurel où naissent l’amour et la haine comme deux passions dans un moment de constitution originaire du sujet. Quand la singularité de l’enfant et la différence générationnelle ne sont pas respectées, la haine se dresse quelquefois comme un barrage face à la confusion relationnelle. La haine infiltre alors des formes multiples et variées du lien social, très répandues au Liban, comme la culpabilité, la piété, la fausse charité et le don d’objets?; formes alimentées par la crainte au nom de l’amour. 
 
Peut-on parler d’«?éducation?» au don, autrement dit?: peut-on éduquer au don??

L’altérité des places et la différence entre parents et enfant sont l’horizon d’une éducation au don. L’éducation au don est à comprendre comme une transmission d’un récit et non pas d’un «?avoir?». L’éducation envisagée comme don est puissance de renouvellement des générations. Elle est une position subjective qui réduit l’appropriation et l’idolâtrie. Les parents doivent aussi à leur enfant, comme celui-ci leur doit. Il est important que l’éducation transmette le don et permette à l’individu de se délier de ses parents et d’exister en une place unique et singulière. On honore ses parents «?quand on reçoit d’eux, parfois aussi malgré eux, parfois même contre eux, le pouvoir de les quitter?».



 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
La demeure du don de Paul Saadé, Orizons/ La main d’Athéna, 2014, 406 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166