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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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L’indispensable collection des «?Dictionnaires amoureux?» initiée chez Plon par Jean-Claude Simoën, vient de s’enrichir d’un titre qui nous réjouit?: Le Dictionnaire amoureux du Liban dont la rédaction a été confiée à Alexandre Najjar.

Par Fifi Abou Dib
2014 - 11
ui d’autre que ce grand travailleur pour réaliser cette œuvre monumentale avec ses deux cent vingt-deux entrées et huit-cent quarante et une pages?? Écrivain, avocat et champion de la francophonie dont il porte l’étendard à travers votre mensuel L’Orient Littéraire, titre qu’il a lui-même ressuscité, Najjar assume ses vies professionnelles parallèles et cumule ses multiples tâches avec la même implication et le même brio. Cette polyvalence le place en première ligne pour parler d’un sujet qui lui est cher?: ce Liban qui soulève en lui comme en chaque Libanais autant de tendresse que d’agacement. Minutieusement, de «?A?» comme «?Abaday?» à «?Z?» comme «?Ziadé (May)?», en passant par «?B?» comme «?Bonjus?», «?C?» comme «?Chansonniers?», «?F?» comme «?Fairouz?» ou «?N?» comme «?Night life?» (oui, en anglais?!), il écume toutes les entrées possibles et imaginables par lesquelles on puisse évoquer ce pays, que ce soit à travers les orientalistes, les artistes, les écrivains, les journalistes, les héros, les saints, les missions éducatives, les villes, les villages, l’histoire, la guerre, la nourriture et autres mœurs. Dictionnaire d’abord, cet ouvrage est une mine d’informations et l’on est surpris, en abordant n’importe quel thème que l’on croit familier, de constater qu’il offre encore une foultitude de détails que les Libanais eux-mêmes ignorent. Dictionnaire amoureux ensuite, il est composé, compilé, documenté, rédigé avec une évidente, une émouvante ferveur. Ce dictionnaire avec des points d’exclamation, monument quasi exhaustif qui rend justice à un petit pays finalement immense par son rayonnement, vaut surtout comme tout dictionnaire par son intention de conserver, de préserver de l’oubli, une précieuse et irremplaçable idiosyncrasie dans un monde déchiré entre l’uniformisation et la globalité d’une part et le repli identitaire, communautaire et confessionnel de l’autre.

Comment s'est décidé ce projet et combien de temps a nécessité sa réalisation (et à quel rythme)??

J’ai toujours apprécié la collection des «?Dictionnaires amoureux?» créée par Jean-Claude Simoën aux éditions Plon qui accueille déjà en son sein d’éminents auteurs comme Philippe Sollers, Michel Del Castillo, Alain Decaux, Jacques Lacarrière, Alain Rey, Dominique Fernandez, Mario Vargas Llosa, Didier Decoin, Bernard Pivot ou Robert Solé (pour son Dictionnaire amoureux de l’Égypte) et qui a récemment obtenu le Prix Femina Essais pour le Dictionnaire amoureux de Proust écrit par Jean-Paul et Raphaël Enthoven. J’ai proposé d’en consacrer un au Liban et mon éditeur a tout de suite accepté, étant lui-même un grand connaisseur du Liban et des orientalistes. Le livre a exigé plus de deux ans de travail – sachant que ma profession d’avocat m’occupe énormément…

Quels ont été vos critères de sélection pour définir les articles à développer??

Par définition, le Dictionnaire amoureux est un exercice libre. C’est un travail très subjectif et l’auteur a la latitude d’inclure les entrées de son choix, sans contraintes. J’ai donc obéi à mon instinct et à mon cœur. La seule restriction que je me suis imposée, c’est d’exclure les politiciens. C’était un choix difficile à faire, mais j’ai pris ce risque. J’ai considéré que la politique au Liban divise, alors que mon livre a pour ambition de rassembler. En outre, nombre de nos politiciens ne sont pas dignes de figurer dans un dictionnaire, car ils ont contribué à déconstruire l’État et ont souvent privilégié leur intérêt personnel par rapport à l’intérêt national. J’aurais certes pu faire quelques exceptions, mais j’ai préféré éviter le favoritisme ou le sectarisme. Les seuls personnalités politiques que j’aborde sont celles qui avaient un lien étroit avec le journalisme, comme Michel Chiha, Ghassan Tuéni, Charles Hélou ou Michel Zaccour. Sur un autre plan, il était impossible d’évoquer tous les villages du Liban, je me suis donc limité à ceux que je connaissais bien… Même Amin Rihani dans son livre Le cœur du Liban, qui proposait un voyage dans le Liban profond, avait renoncé à être exhaustif?! La dernière difficulté que j’ai rencontrée en écrivant ce livre résidait dans l’approche. À qui s’adresse-t-il?? Au Libanais du Liban, au Libanais de la diaspora ou à tout lecteur francophone dans le monde?? Pour atteindre les trois publics, il m’a fallu veiller à ce que certaines informations évidentes pour un Libanais soient plus ou moins expliquées au lecteur étranger pour lui éviter d’être dérouté. J’ai aussi introduit des entrées comme Flaubert, Nerval, Lamartine, Agatha Christie ou Jorge Amado parce que ces auteurs nous proposent un autre regard, très différent de celui que nous avons de l’intérieur…
 
Quelle est, selon vous, la section où se manifeste de la manière la plus évidente votre état «?amoureux?»??

Celle des villes et des sites, je crois. Quand je parle de Byblos, du Kesrouan, de Beyrouth ou de Baalbek, on sent que je suis épris de ces lieux. Cela dit, j’ai aussi rédigé quelques entrées sur des thèmes dont je ne suis pas amoureux du tout, comme «?Guerre?», «?Confessionnalisme?», «?Libanisme?», «?Électricité?» ou «?Circulation?»?!

Cet ouvrage monumental recèle des informations que souvent les Libanais eux-mêmes ignorent et qu'on ne trouve pas forcément dans les archives. Comment avez-vous procédé pour les obtenir?? Qu'est-ce qui vous a été le plus utile?: Votre mémoire, votre culture personnelle, des rencontres particulières, la consultation de documents, etc.??
 
C’est un travail colossal. Il y a bien sûr des sujets que je connaissais bien, comme Gibran, De Gaulle, Tyr (grâce à mon roman Phénicia), Kadicha, Beyrouth (Le Roman de Beyrouth) ou Abouna Yaacoub (L’Homme de la Providence). Mais il y a de nombreuses entrées qui m’étaient inconnues et qui ont nécessité lectures, recherches, voire consultation de spécialistes – comme l’entrée «?Gastronomie?»?!

Comment définissez-vous le travail que vous avez effectué sur cet ouvrage?: celui d'un journaliste, d'un chroniqueur, d'un historien, d'un romancier??

Ce qui m’a plu en rédigeant ce dictionnaire, c’est qu’il sollicite l’écrivain, le journaliste, l’historien, le romancier et même le juriste (pour les rubriques «?Justice?» et «?Secret bancaire?»). C’est un «?sport?» complet?!

Quelle sorte d'«?amoureux?» du Liban êtes-vous?: un amoureux déçu, trahi, amer, ou au contraire comblé, fier, attentionné, prévenant, reconnaissant??

Tout cela à la fois?! Déçu et trahi par la classe politique, oui. Amer de voir nos sites saccagés, évidemment. Comblé et fier de notre patrimoine extraordinaire, certainement?: imaginez que le Dictionnaire amoureux du Liban compte autant de pages (850) que celui de la Chine?! Attentionné et prévenant, aussi. J’ai eu la tentation de commencer ce dictionnaire à rebours, en partant de la lettre Z pour aboutir à la lettre A pour bien montrer que le Liban marche à reculons. Mais par respect pour mon pays, j’ai renoncé à cette démarche. Reconnaissant, sans doute. C’est le Liban qui m’a formé. Même la guerre a été une «?école?»…

La rédaction de ce livre monumental a-t-elle changé votre regard sur le Liban??
 
Oui, sans doute. On ne sort pas indemne de la rédaction d’un tel livre. Il m’a permis de mieux comprendre mon pays, de mieux l’aimer, malgré ses contradictions et les malheurs qui, périodiquement, s’abattent sur lui…

Quelle a été l'entrée la plus plaisante à rédiger??

Celles qui comportent de l’humour. Ce dictionnaire est certes «?sérieux?», mais plusieurs entrées font sourire. Certaines situations libanaises sont franchement grotesques et absurdes, je ne me suis pas gêné pour les tourner en ridicule?!

Et la plus compliquée?

«?Beyrouth?», car il est extrêmement difficile de raconter la capitale du Liban en quelques pages. C’est une ville aux multiples visages?: chaque quartier a un cachet sui generis. C’est une ville médiane entre mer et montagne, tradition et modernité. C’est une ville cosmopolite, ancrée en Orient et ouverte sur l’Occident. C’est surtout une ville digne, orgueilleuse et libre?!





Alexandre Najjar  au Salon
 
Table ronde autour du Centième numéro de L’Orient Littéraire «?Culture et Barbarie?» le 2 novembre à 18h (Agora)

Rencontre autour de l'ouvrage Dictionnaire amoureux du Liban, avec la participation de Josyane Savigneau et Georgia Makhlouf, le 7 novembre à 17h (Agora)/ Signature à 18h (Antoine)

Rencontre autour de Saïd Akl d’Henri Zoghaib et lecture de poèmes, le 8 novembre à 18h (Salle A)

Table ronde «?L’identité ouverte?», avec Jean-Noël Pancrazi le 9 novembre à 18h (Salle A)
 
 
© Thibaut Odiette
« La politique au Liban divise, mon livre a pour ambition de rassembler »
 
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaire amoureux du Liban de Alexandre Najjar, Plon, 2014, 850 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166