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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Rencontre
Henri Lopes, le grand francophone


Par Jean-Claude Perrier
2015 - 02
Né en 1937 à Léopoldville (devenu Kinshasa), capitale de ce qui était alors le Congo belge, Henri Lopes est citoyen de l’autre Congo, alors colonie française, qu’on appelait le Congo-Brazzaville, aujourd’hui République du Congo. Issu d’une famille chrétienne, historien, professeur, homme politique ayant occupé les plus hautes fonctions dans son pays (ministre de l’Éducation nationale dès 1972, puis des Affaires étrangères et Premier ministre de 1973 à 1975), puis à l’UNESCO, il a suivi un parcours comparable à celui de Léopold Sedar Senghor, qu’il admire bien sûr, mais dont il n’a pas toujours partagé les idées, notamment le concept de «?négritude?». Comme Senghor, Henri Lopes est écrivain, peut-être avant tout, et un inlassable militant de la francophonie. Récemment, il a été le candidat malheureux des Africains à la présidence de l’Organisation Internationale de la Francophonie, à qui l’on a préféré la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean. «?Pour des raisons politiques?», explique-t-il. De la francophonie, de son parcours, Henri Lopes, ambassadeur de la République du Congo à Paris depuis 1998, a bien voulu parler à L’Orient Littéraire, au moment où paraît Le méridional, son nouveau roman. Une histoire qui se déroule entre l’île de Noirmoutier, en Vendée, et le Congo, à partir d’un fait divers dont le héros est un certain Gaspard Libongo, un Congolais amateur de poésie, séducteur impénitent. Le roman est conté à la première personne par un narrateur qui présente nombre de ressemblances avec l’auteur lui-même.

Votre œuvre, une dizaine de titres seulement depuis 1972, comporte huit romans, Le méridional étant le neuvième. Pourquoi cette préférence donnée à la fiction alors que, compte tenu de vos fonctions, on s’attendrait plutôt à ce que vous écriviez des essais??

Si j’écrivais des essais, ce serait comme une continuation de mon quotidien. Par goût, je préfère le roman, c’est entre nous une vieille histoire d’amour. Si je pouvais vivre de ma plume, je ne ferais que ça. Tout jeune, j’étais un grand lecteur. C’est ainsi que j’ai découvert la poésie africaine grâce à l’ouvrage de Senghor, Anthologie des écrivains nègres et malgaches. J’ai lu ensuite, de façon presque politique, militante, des écrivains antillais, haïtiens. Et cela m’a donné envie de dire mon Afrique à moi. C’est ainsi que j’ai écrit Tribaliques, paru en 1972, un recueil de nouvelles. Mais la nouvelle est un genre redoutable, qui exige énormément de travail. Alors, comme je suis paresseux, je suis passé au roman?! Celui-là, en effet, est le neuvième, et je ne sais pas si j’en écrirais encore. Je ne suis plus tout jeune… 

Tribaliques, puis vos deux premiers romans, sont parus chez Clé, un éditeur de Yaoundé, au Cameroun. C’était un geste militant??

Tout à fait. À l’époque, dans la foulée des indépendances africaines (le Congo le fut en 1960), il fallait être africain à 100%?! J’ai ensuite publié chez Présence africaine, à Paris, qui, plus qu’une maison d’édition, était un vrai centre culturel. Mes deux éditeurs existent toujours, et je leur suis reconnaissant. Jeune, comme nombre de mes frères, j’avais été coupé de mon pays. Mon père adoptif, Français, m’avait amené en France en 1949, et laissé à Nantes, puis à Paris, pour faire mes études. Je ne suis revenu chez moi qu’en 1965. C’est à Paris que j’ai recollé avec l’Afrique et le monde noir, en fréquentant d’autres étudiants africains. J’y ai aussi rencontré ma femme, guadeloupéenne, proche de Guy Tirolien, un écrivain important quoique moins connu que Senghor et Césaire. Mais je suis un enfant des villes, pas un enfant africain plongé dans la coutume, même si, par ma mère, une Bagangoulou, tribu de langue batéké, j’appartiens à la culture mboshi. Aucun romancier n’a écrit sur cette situation particulière, j’ai essayé de le faire.

C’est à Paris, dans les années 60, que vous commencez à militer??

Oui, à la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France, un syndicat politisé, «?marxisé?», comme les intellectuels et artistes français que nous admirions, Aragon, Picasso… Mais je n’avais pas lu Le capital, ni Lénine. J’avais la certitude qu’ils ne me permettraient pas de comprendre le monde dans lequel je vivais. Ce qui m’intéressait, c’était mon passé africain, et la politique.
 
Dès votre retour au Congo, vous passez à l’action??

En 1965, grâce à une bourse, je suis nommé professeur à l’École Normale d’Afrique Centrale, à Brazzaville. C’était une idée de l’UNESCO, et l’un de ses plus beaux projets. Financer, grâce à des fonds du PNUD, la formation de professeurs du secondaire, les instituteurs ayant été remarquablement formés durant la colonisation. Je devais y rester deux ans. Mais en fait, durant un voyage en Chine en compagnie du Directeur général de l’Enseignement, qui était un ami, celui-ci apprend qu’il est nommé ministre, et me propose de lui succéder. J’ai donc été nommé à sa place, par un sacré concours de circonstances.

Quel était votre programme??

D’abord, j’ai voulu prendre contact avec la réalité de mon pays, en le sillonnant, en brousse. Ensuite, je me suis vite rendu compte que, dans l’enseignement et dans la vie, la langue est un point central. J’ai voulu africaniser les programmes, en introduisant l’histoire générale de l’Afrique à côté de l’enseignement traditionnel, hérité des Français. Nous avons été colonisés jusqu’à la moelle des os, et, pour nous, le français était la langue du pouvoir. J’ai songé, un temps, à le remplacer par une langue nationale. Mais laquelle?? Au Congo, il y a 43 langues pour 2 millions d’habitants à l’époque?! Et aucune de ces langues n’est écrite. Certaines, comme le lingala, ont été transcrites par les missionnaires. Le problème était inextricable. En fait, c’était une posture idéologique, et une erreur. La chance de l’Afrique de demain réside dans la constitution de vastes ensembles, francophone, anglophone, lusophone. Nous n’avons d’autre choix que le français, langue africaine.

De là vient votre engagement résolu en faveur de la francophonie??

Oui. Notre seule voie, c’était la langue française. La francophonie m’a intéressé dès ses débuts. Je l’ai défendue à l’UNESCO. 

Vous auriez aimé continuer à la défendre en tant que Président de l’OIF??

Bien sûr. Mais on assiste aujourd’hui à une déviance de la francophonie au sein de l’institution, à cause de la place de plus en plus importante qui y est accordée à la politique. C’est Chirac, suivi par ses successeurs, qui a fait de l’OIF une instance politique francophile, avec des alliés. À l’OIF, désormais, on singe les Nations-Unies. Moi, on me trouvait trop «?culturel?». 

Qu’est-ce qu’un écrivain francophone??

Pas seulement quelqu’un qui écrit en français, mais qui fait sien tout le patrimoine culturel du monde francophone, qui fait vivre et participer à l’échange avec toutes les francophonies du monde. Quelqu’un à qui rien de ce qui est francophone n’est étranger. Cela représente 240 millions de personnes dans le monde. 

Vous avez exercé les plus hautes fonctions politiques dans votre pays, mais la présidence de la République??

J’ai été ministre, puis Premier ministre d’un régime «?marxisant?». Ensuite, la destinée du Congo, aujourd’hui apaisé, a été chaotique. Mais, tout en étant dans la politique, je n’étais pas un animal politique. La création m’a toujours permis d’échapper au politique. Tribaliques, mon premier livre, a été publié presque au moment où je devenais ministre. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis. Lorsque je suis devenu ambassadeur – après avoir refusé trois fois –, j’ai négocié de pouvoir écrire sans soumettre mes livres à autorisation préalable, ce qui se fait d’ordinaire à cause du devoir de réserve. D’ailleurs, dans la deuxième partie du Méridional, j’évoque, à travers mon personnage, la situation du Congo peu avant mon retour.

Vous avez mis beaucoup de vous-même dans ce livre??

Bien sûr. Le méridional lui-même est totalement imaginé. Mais Assanakis, l’autre Noir (en fait un métis) qu’on ne voit presque jamais, me ressemble. Et puis, j’ai une histoire personnelle avec l’île de Noirmoutier, que j’ai découverte quand j’étais adolescent, à Nantes. À l’époque, dans cette grande ville, on était à peine une trentaine de Noirs, étudiants africains et antillais. On se connaissait tous. À Noirmoutier, j’étais le seul Noir. Je me souviens, une fois, d’être allé à la messe avec ma mère, qui était une catholique extrêmement pieuse. Tout le monde nous regardait. J’ai ensuite refusé d’y retourner. Ce sont des choses qui vous marquent à jamais.



 
 
D.R.
« La création m’a toujours permis d’échapper au politique. » « Dans l’enseignement et dans la vie, la langue est un point central. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Le méridional de Henri Lopes, Gallimard, 2015
 
2020-04 / NUMÉRO 166