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Étienne de Montety, aventurier par procuration
Déjà auteur de plusieurs ouvrages, directeur du Figaro littéraire, Étienne de Montety signe son premier roman L’article de la mort. Jeu de mots pour désigner un journaliste chargé de rédiger la nécrologie d’un ministre versé dans l’humanitaire.

Par Nathalie SIX
2009 - 12
L’héroïsme est-il une vertu en train de disparaître ? En vérité, voilà la grande question qui transcende ce roman classique et brillamment maîtrisé. Charles-Élie Sirmont a traversé la deuxième moitié du XXe siècle en goûtant à tous ses drames. Il a fait ses classes pendant la guerre d’Algérie comme volontaire, puis s’est dédié brusquement aux causes humanitaires les plus nobles : les Boat people, la Pologne avec Lech Walesa, la guerre du Liban, le conflit en ex-Yougoslavie et même en Thaïlande, au secours des rescapés du tsunami. Un homme politique devient-il coupable lorsqu’il est partout, toujours au bon moment, toujours le bon mot à la bouche ? Charles-Élie Sirmont n’est pas encore mort que le journal de Moreira se soucie déjà de boucler sa « nécro ». Pas évident de passer en revue la vie d’un ancien ambassadeur et écrivain de renom, qui ressemble à un héros moderne mais qui, en même temps, semble trop beau, trop limpide, pour être parfaitement au-dessus de tout soupçon. C’est bien une question de vieux briscard de la presse que de vouloir chercher la faille alors que l’époque veut à tout prix qu’on lui offre des héros, même lorsqu’ils sont formatés. Moreira rêve de soulever le voile sur la part d’ombre de son personnage, il veut son scoop, sa vérité. Dans cette enquête, la communication est au cœur de la machine. In fine, le pouvoir appartient à celles et ceux qui savent comment manipuler cette nouvelle arme que sont les médias. Étienne de Montety le regrette-t-il, lui qui est journaliste ? Disons plutôt qu’il analyse le fait et s’en amuse, cynique ou jovial. Mais dupe, jamais.

Qui se cache derrière Charles-Élie Sirmont : Hélie Denoix de Saint-Marc (l’Indochine, l’Algérie, la Légion étrangère) ou une fusion entre André Malraux, Jean-François Deniau, Jean-Christophe Rufin, Jean-Paul Kauffmann, et Christophe de Ponfilly ?

Personne en particulier. Dans chacun de mes personnages, il y a ce mélange de fiction et de réel, de nombreux modèles, des anecdotes, des scènes effectivement liées à quelqu’un qui a existé et que j’ai mixées avec des souvenirs plus profonds et lointains. Pourquoi ai-je eu envie que mon personnage soit un amateur de latin ? Parce que mon père voulait que je fasse du droit romain comme Edgar Faure. Ensuite, j’ai fait de ce latiniste un aventurier. Quand je cite « L’île de lumière », c’est bien sûr une allusion à Bernard Kouchner, cette aventure m’avait beaucoup plu (ce bateau, affrété par les premiers « médecins sans frontières » au large de l’île malaise de Poulo Bidong, servit d’hôpital pour les réfugiés vietnamiens). Cet épisode marque à mes yeux ce qui caractérise le monde d’aujourd’hui : un mélange d’humanitaire et de médiatique. Le médiatique vient servir l’humanitaire, mais finit aussi par l’instrumentaliser.

Où se cachent l’héroïsme et son corollaire, le courage, et quels sont les héros d’aujourd’hui ?

Je n’ai pas de nom en particulier à vous citer, hormis peut-être certaines associations humanitaires, comme Les Enfants du Mékong : des jeunes de 22, 23 ans qui partent à la fin de leurs études offrir une année au service des autres au fond du Laos ou du Vietnam. Le courage physique se niche aussi chez des commissaires de police ou des gendarmes, mais l’héroïsme est-il un état ou le fruit de circonstances ? C’est ma principale interrogation dans le roman : peut-on se montrer héroïque une fois, et un autre jour, lâche ou attentiste ? « Je n’aurai pas du courage éternellement », déclare Antigone à Créon chez Anouilh. En outre, est-ce que la société dans laquelle nous vivons ne requiert pas des médias qu’elles produisent des héros ? L’abbé Pierre a été un héros pendant l’hiver 1954, et ensuite jusqu’à sa mort, il a été instrumentalisé comme l’homme qui se lève contre la misère et contre le froid. Je respecte tout à fait l’abbé Pierre, je m’interroge simplement. Dans mon roman, le journaliste Moreira veut savoir quel fut le moteur de Charles-Élie Sirmont, s’il était véritablement aussi vertueux qu’il en avait l’air.

Vous parlez beaucoup du Liban dans votre roman, y êtes-vous allé ?

Non, j’ai toujours été passionné et intéressé par le Liban, j’ai donc beaucoup lu. Il y a une littérature abondante sur le sujet qui permet de se représenter les événements. Il m’a semblé que c’était un endroit où se jouaient et où se jouent beaucoup de choses. Ce pays qui a des liens particuliers avec la France a fait le pari difficile de faire cohabiter des communautés. Samir Geagea, le général Aoun, Rafic Hariri, Amine Gemayel… ces personnages me sont assez familiers, ils font partie de ma culture politique. Sans être proche ou sympathisant des Phalanges, je m’empresse de le dire !

Vous avez écrit sur la Légion (Des Hommes irréguliers, Perrin, 2006), recueilli des conversations entre Hélie Denoix de Saint-Marc et August von Kageneck (Notre histoire, Les Arênes, 2002), une biographie d’Honoré d’Estienne d’Orves qui a reçu le prix de l’armée de terre-Erwan Bergot… Il existe un lien fort entre vous et les militaires… D’où vient-il ?

J’ai une famille de militaires : mon grand-père, mon arrière-grand-père et mon beau-père. Cependant, je pense avoir un regard distancié sur ce monde-là, un regard de journaliste et d’écrivain C’est vrai que j’ai une admiration pour ces hommes, ainsi que pour des gens comme Deniau et Rufin.

N’avez-vous jamais eu envie de vous engager ?

Non, je suis un journaliste derrière son bureau, je ne suis pas non plus grand reporter, ma vie ne me le permet pas. J’ai donc beaucoup voyagé à travers mes livres : Lord Jim de Joseph Conrad, Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. Lorsque vous rencontrez un jeune officier de la Légion qui vous raconte ses opérations extérieures, vous vous rendez compte qu’il a une vie légèrement plus trépidante que la moyenne des gens de son âge ! Ils doivent faire face à des missions dangereuses, gérer des blessés, des morts, cela donne des hommes un peu plus profonds, sensés, et plus mûrs que leurs contemporains. Quand on aime le romanesque, ce qui bouge et ce qui change de l’ordinaire, l’armée est une source inépuisable d’inspiration. Je suis un aventurier par procuration, un aventurier passif ! .



 
 
© Catherine Hélie / Gallimard / Opale
« L’héroïsme est-il un état ou le fruit de circonstances ? »
 
BIBLIOGRAPHIE
L’article de la mort de Étienne de Montety, Gallimard, 297 p.
 
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