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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Dire sa vie, sa ville et son pays


Par Nadine NASSAN
2010 - 07
Une fois de plus, avec Dé-couvertes, Mona Moukarzel nous conquiert par la puissance évocatrice de ses récits où la pirouette – du langage et celle de la pensée – est constamment à l’œuvre dans les thèmes de l’amour, de la mort et du destin. Dès la couverture, le titre nous interpelle par cette césure qui scinde le mot. Le lecteur entrevoit alors qu’il est assurément appelé à une lecture faite de « découvertes », mais aussi que sa lecture sera menée comme une « dé-couverte », un dé-voilement où l’on ôte ce qui couvre et qui voile à la fois le monde et le sens. Nous entrons dans Dé-couvertes par le préambule : l’auteur y apostrophe l’écriture pour la conjurer de livrer ses secrets : « Crie ta vérité », et c’est l’écriture qui sera le véritable sujet des nouvelles à venir : « Petite bête, petite bête, avance tes jolies pattes et gratte ce monticule qui s’offre à toi. » Tout au long de ce recueil, le lecteur le plus exigeant est inévitablement séduit par la nouveauté du ton. Il ne boude pas son plaisir face aux inventions verbales les plus foisonnantes : jeux sur les mots, acrobaties syntaxiques, virtuoses, et clins d’œil littéraires sont déjà la signature de Mona Moukarzel pour qui le plaisir le plus évident est de manipuler la langue et même de la malmener pour lui donner une forme neuve et entièrement originale. Ce qui nous frappe si fort aussi, à la lecture de ces textes d’inspiration si diverse, c’est le charme profond de ces histoires qui tracent, croquent et dessinent à grands traits des vies entières et des destins. Dé-couvertes nous mène ainsi sur le chemin des légendes oubliées, de mythes fondateurs et aussi d’existences individuelles érigées en destins fabuleux.

Mythe fondateur de la création de l’homme d’abord, avec Adon et Anabelle retraçant, à l’aide de Sire Serpent, « l’épopée de l’humanité » : c’est ainsi que dans la nouvelle Le Cri  on « dé-couvre » de nouvelles perspectives, le lecteur se pose alors comme décrypteur et dé-couvreur de sens : « Seuls l’histoire et votre propre témoignage, cher lecteur, nous le diront. » Mythologies orientales et légendes anciennes sont ainsi ressuscitées : Tour du Silence  présente à « Yazd dans la vieille Perse » les rituels ancestraux et primitifs d’accompagnement du mort… Seins Grenadine relate un hymne à l’amour absolu. Et de cet Orient terrible et chatoyant émergent des existences grandioses : celle de la Sitt, « cette grande dame qui avait quitté son Angleterre pour traverser Constantinople, Laodicée, Jérusalem, Baalbeck et d’autres terres ». Une géographie fabuleuse défile alors, encadrant comme un écrin le caractère exceptionnel de Lady S. et tirant définitivement « la grande dame » loin de la « petite histoire ». Au centre du recueil, un hommage est rendu à des femmes différentes, aux vies tumultueuses, toutes figures de légende et qui incarnèrent l’amour et la force du destin. Maria Callas, Oum Koulthoum, Joséphine Baker, associées au chant désespéré, le plus beau, qui sublime leurs amours et leurs destinées. Sarah Bernhard, Lola Montès, Coco Chanel, immortalisées par leur art et par leur capacité à défier le monde puis à le bouleverser. Isadora Duncan, étranglée par sa propre écharpe, Mata Hari l’indéchiffrable dont le corps, après avoir su éveiller et propulser les rêves les plus fous, finira, déchu, sur une table de dissection…

Mais ce qui nous retient surtout, c’est la manière dont se donne à lire, à travers ces feuillets et en filigrane, l’itinéraire personnel de l’auteur. Nous pensons notamment à cette dernière page « Ya Beyrouth ! » où se délivre de façon subliminale et entre les zébrures des mots scandés follement, une affirmation d’appartenance pleine et entière à la ville, plus qu’à n’importe quel autre amour. « C’est pour Beyrouth ses prunelles son histoire l’écho de son écume que je suis là que je ne suis pas partie que je ne t’ai pas suivi. »

Le credo final est définitif et poignant comme un vœu et un renoncement : « Beyrouth est ma patrie mon parti mon pari. » Mots de la fin, dernière ligne de la dernière page pour signer l’engagement d’une vie et celle de Mona Moukarzel à dire sa ville et son pays à travers toutes les légendes du monde et construire ainsi une mythologie personnelle, tissée en mosaïque subtile avec toutes les autres.après

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Dé-couvertes de Mona Moukarzel Dergham, 212 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166