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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Men in pain
Entre deux confidences rêvées ou murmurées dans les brumes urbaines et jazzy de whisky ou de bière, Haruki Murakami décline avec délicatesse la détresse amoureuse au masculin.

Par Ritta Baddoura
2017 - 08
Composées pour duo, trio ou quatuor, les sept nouvelles du dernier Murakami enveloppent le lecteur dans une atmosphère particulière où les airs de jazz façon musique d’ascenseur sont habités par la teneur grave et profonde d’une musique de chambre. L’art de la familière étrangeté, et de l’hyper réalisme aux accents oniriques, propre à Murakami, atteint là des états de grâce. 

Des Hommes sans femmes (le recueil éponyme d’Hemingway a dispersé ses graines dans l’esprit de Murakami, aux dires de ce dernier), raconte des hommes qui se retrouvent « sans le moindre avertissement, (…) les plus seuls au monde » suite à une rupture amoureuse ou à la naissance d’un amour fou non partagé. L’unique monde qui leur sera permis désormais est celui des « hommes sans femmes. Un pluriel froid et sans fin ». Confrontés à un terrible isolement, l’appel du vide est pour eux sans sursis et se traduit en tentatives singulières de survie ou de disparition programmée.

Les portraits masculins et féminins des personnages de ce recueil sont saisissants, alors que certains sont brossés avec précision et d’autres esquissés d’un pinceau à peine impressionniste. Une autre force de l’ouvrage réside dans l’écriture des dialogues, au sommet de sa maturité. Les femmes y sont chacune une Shéhérazade – titre de l’une des nouvelles – vouée à disparaître, le cadavre qui reste n’étant pas le sien mais celui de l’amoureux abandonné. Et ce sont les confidences échangées, les goûts partagés, qui manquent surtout aux hommes sans femmes. Bien plus que les étreintes des corps, c’est l’intimité symbiotique des connivences qui laisse un vide dévastateur mais porteur d’essentiel. Car sans le vécu et le souvenir de cette intimité, la vie ne serait « qu’un simple catalogue d’artifices ». 

Les femmes sont des énigmes pour les hommes sans femmes, et pour les hommes tout court. Aimer est une autre énigme pour les hommes et les femmes qui ne savent ni aimer ni se laisser aimer. Ces énigmes et les tourments qu’elles génèrent offrent des portes dérobées à la mort ou à des biens précieux, selon le verrou que l’on pousse. Pour certains personnages, elles sont le sceau de liens voire d’amitiés masculines improbables. Quelquefois, elles tendent la passerelle vers la spiritualité et la communion avec l’art ou la nature. Dans une empathie digne et délicate, mais non sans l’ombre d’un effroi, Haruki Murakami se glisse dans les interstices de solitudes douloureuses, et décrit l’ascendant des émotions sur la destinée d’hommes reclus sur l’île déserte du cœur.
 
BIBLIOGRAPHIE
 
Des hommes sans femmes de Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2017, 304 p.

 
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166