Comme tous les – vrais – riches, ils aimaient jouer aux pauvres. C’est ainsi qu’ils avaient décidé, au lieu de passer leurs vacances sur leur yacht en Sardaigne (totalement has been), d’acheter cette vieille ferme écroulée, dans ce coin perdu du Jurd. Dans ce village au nom improbable, ils avaient fait « retaper » leur masure tout en prenant bien soin de lui garder son « cachet original », à grands coups de tuiles poreuses, de pierres glissantes, de foin piquant et de bassines de cuivre rouillées.

Pour accéder à cette maison « toute simple » – que leur décorateur avait facturée au prix d’un Picasso –, il fallait traverser une route caillouteuse et défoncée, sous les regards narquois des paysans du coin qui se demandaient ce qui pouvait pousser quelqu’un à venir habiter dans leur trou. Une fois sur place, on découvrait, stupéfaits, que l’élégant PDG en costume-cravate pour qui le cours du Nasdaq n’avait pas de secrets s’était transformé en cultivateur acharné de pommes. Troquant ses mocassins italiens pour des bottes en caoutchouc, il parcourait son domaine en dissertant inlassablement sur des sujets aussi palpitants que le fumier destiné à éradiquer les maladies de ses chers arbres.

Quant à son épouse, affublée d’une robe en vichy rose, de sabots et d’un chapeau de paille, elle s’affaire devant le buffet « villageois » dressé sur une table monastique. Alors que des Beyrouthins découvrent, en poussant des cris extasiés, des plats exotiques (que l’on a toujours mangés chez soi) : lentilles au citron, haricots à l’huile et purée de pois chiches, et que le dessert se résume à du riz au lait, on se prend à rêver d’un bon hamburger et d’une crème glacée purement industrielle.

D’ailleurs, on s’est trompé de cadeau. Ce n’est pas des chocolats qu’on aurait dû offrir à nos hôtes, mais un râteau écaillé...