C’est une gamine blondasse et boudeuse qui porte encore un appareil dentaire. Avec son anorak jaune et son piercing sur la narine, c’est Diabolo menthe version 2010. Encore un peu, on lui offrirait des berlingots pour son goûter et une poupée Barbie si elle est sage.

Sauf que vous n’y êtes pas du tout. Poing levé, visage fermé, elle hurle des slogans vengeurs dans la rue au milieu d’une horde de garçons boutonneux et de vieux syndicalistes barbus aigris. Car Mademoiselle, ne vous en déplaise, manifeste. Contre l’interro de sciences du samedi ? La prof de maths trop tatillonne ou l’augmentation du prix du Carambar à la cantine ? Vous n’y êtes pas non plus ! Si elle se mo-bi-lise, c’est contre la scandaleuse retraite à 62 ans ! Car même si elle n’a pas encore son bac, si elle ne sait même pas ce qu’elle fera plus tard et si aucune entreprise n’a encore fait appel à ses talents, qu’on se le dise ELLE-NE VEUT-PAS MOURIR-AU-TRAVAIL !
À l’âge où on se projette en exploratrice-aventurière, mannequin-vedette ou star des podiums, à l’âge des grands rêves et des espoirs fous, la seule image qu’elle a d’elle-même et de son futur est celle d’une mémé retraitée, charentaises aux pieds et ouvrage de macramé à la main, comptant et recomptant les sous de sa pension de retraite.

À mille lieues de ces considérations, Abou-Élias votre voisin, un homme précieux à la fois plombier, électricien, menuisier et garagiste, vous taraude pour que fassiez jouer vos relations : il veut que vous lui trouviez un poste nocturne de voiturier. Et lorsque vous avancez délicatement que peut-être, à son âge, cela pourrait s’avérer un peu fatigant, il se fâche tout rouge : après tout, il n’est pas si vieux et encore en pleine forme. Et d’ailleurs, il y a Élias son fils, que Dieu le lui garde, un garçon si doué qu’il n’a pas eu le cœur de lui refuser des études en France. Alors, quelques heures de travail de plus la nuit, cela ne compte vraiment pas...