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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul



2011 - 07
Il en était grand temps. Après des mois de palabres et d’arguments mielleux, elle était enfin parvenue à le convaincre. Malgré la «?situation?», l’urbanisme sauvage et «?l’absence-d’esprit-civique?», le Liban l’avait finalement emporté sur les capitales européennes «?civilisées?». C’est qu’acheter un appartement ici, c’était une petite victoire sur l’exil implacable des jeunes, une promesse de retours fréquents, de Noëls en famille et d’étés ensoleillés.

Elle s’était aussitôt mise à la recherche d’une résidence de rêve pour son fils bien-aimé. Armée, pour cette mission, d’un entrain et d’une endurance à toute épreuve, elle avait épluché les petites annonces, hanté les agences immobilières et visité un nombre incalculable de chantiers.

Alors qu’elle rêvait d’une grande maison bourgeoise avec barbecue et jardin fleuri dans lequel elle voyait déjà gambader des bambins blonds à risettes, elle s’était fait sèchement rappeler à l’ordre. Ce qu’elle était censée rechercher, c’était un «?loft?». C’est-à-dire un immeuble en briques sombres, du genre que hantent les artistes maudits de New York, idéalement situé dans une zone industrielle jonchée de carcasses de machines et de vieilleries en zinc, avec décor métallique et éclairage blafard rappelant les antres des meurtriers dans les mauvais polars américains du samedi soir.

Quand elle ose timidement demander où est la cuisine, on lui rappelle, avec un brin de commisération, qu’il s’agit d’un «?open space?». La chambre de bonne ne semble pas non plus au programme. Pourvu que sa mère ne l’apprenne jamais. Il paraît même que dans certains lofts, on peut garer sa voiture dans son salon. C’est ça qui serait pratique au moment de faire la vidange d’huile... sur la moquette blanche.

Se sentant décidément trop «?has been?», elle renonce à sa tâche. Et s’en va planter son jardin dans sa bonne vieille maison de Zahlé.
 
 
© Bernard Khoury / DW5
 
2020-04 / NUMÉRO 166