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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Le retour de l’enfant prodigue


2012 - 01
La maison avait été briquée de fond en comble. Le sapin scintillait de tous ses feux et on avait enfin retrouvé le troisième Roi mage au grenier. La chambre à coucher où traînaient encore de vieux livres d’école et des numéros défraîchis du Journal de Mickey avait été dévotement rangée par Soma, gardienne farouche du moindre pyjama taille huit ans de celui qu’elle avait élevé. La bûche au chocolat trônait dans la salle à manger avec les truffes qu’il aimait et ses bonbons régressifs à la réglisse.

Elle avait tenu à mettre la broche qu’il lui avait offerte avec son premier salaire. Comme toujours, elle était venue beaucoup trop tôt à l’aéroport. Son mari avait beau lui expliquer que pour l’avion de 14h, les voyageurs ne sortaient jamais avant 14h45, elle devait être là dès 14h. Et si l’avion atterrissait en avance ? Bien sûr, cela n’arrivait jamais et son homme souriait avec une tendre commisération en la voyant si pressée de partir. Son fils avait à plusieurs reprises décrété que « c’était complètement ringard de venir attendre à l’aéroport et qu’il pouvait parfaitement prendre un taxi, ce qu’il faisait d’ailleurs dans tous les aéroports du monde... », mais rien n’y faisait, elle devait être là.

C’est qu’en réalité, ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était partager avec d’autres parents la joie des retrouvailles. Faire amie-amie avec la femme voilée qui attendait son fils aîné revenant de Dakar, avec la vieille dame aux yeux embués qui n’avait pas vu sa fille depuis des années et avec la religieuse si fière de son neveu « étudiant docteur » comme elle disait à Montpellier. Pour un moment, ces gens qu’elle ne reverrait probablement jamais devenaient un peu sa famille. Ensemble, ils regardaient dix fois leur montre, consultaient à chaque instant le tableau des arrivées, abordaient les voyageurs pour leur demander d’où ils venaient et guettaient anxieusement la porte de sortie. Elle avait honte de l’avouer, mais elle aurait même aimé ne pas être « chic » du tout et, comme la petite fille en robe d’organza rose qui sautillait d’impatience devant elle, porter un bouquet de fleurs en plastique pour accueillir en héros l’enfant prodigue. Elle osait à peine imaginer sa tête s’il la voyait ainsi.

Comme toujours, elle ne le voit pas arriver. Il est grand, avec un pull noir qu’elle ne lui connaît pas et cet air désabusé de ceux qui voyagent souvent. Du regard, il lui impose d’être moins démonstrative. Elle sourit bravement.

Il ne faut surtout pas qu’il la voie pleurer.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166