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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Retour au pays


2012 - 07
C’est maman qui l’annonce triomphalement?: il vient début juin. On demande tout de suite «?pour combien de temps???», comme pour mesurer sa joie, et on trouve toujours le séjour trop court. La maison familiale est briquée de fond en comble et la vieille bonne s’attelle à la préparation des petits plats qu’il aimait quand il était petit. Avec en arrière-fond, une petite musique angoissante et familière?: pourvu qu’il ne se passe rien d’ici là…

Le jour dit, on se retrouve en tribu à l’aéroport. On est impatient. C’est qu’il est si lent à sortir. Ce n’est pas faute d’avoir guetté, mais on rate toujours son arrivée. Tout de suite, il est là et vous entoure de ses bras avec sa grande taille, son sourire d’enfant et ses vieilles blagues goguenardes destinées à masquer son émotion. 

Le cercle familial se reforme?: au dîner chez maman, on se retrouve «?comme avant?», sur les mêmes fauteuils usés, chacun à sa place. On se taquine gentiment et on se raconte pour la millième fois nos aventures d’enfance?: les escapades à la montagne, le carnet de notes du samedi qu’on cachait à papa et les premières amourettes. Même les années de guerre nous apparaissent rétrospectivement comme une sorte de jeu pour grands dont il fallait s’efforcer de sortir vivants.
Les premiers jours, c’est une ronde d’invitations. On retrouve des cousins qu’on avait perdus de vue et ses vieux camarades d’école qu’on n’avait pas revus depuis son bac. C’est à qui lui montrera le tout dernier restaurant, la plage «?in?» et le centre commercial le plus en vogue. Mais malgré nos efforts, on ne réussira pas à le persuader de manger autre chose que des mezzés. On n’a jamais vu autant de taboulé de notre vie.

À l’atmosphère festive des premiers jours fait bientôt place une mélancolie diffuse à mesure que se rapproche le jour du départ. On compte les jours. Mais non voyons, il reste encore trois jours. Enfin, pour être honnête, deux jours et demi… C’est que l’achat rituel de pistaches et de douceurs orientales à emporter «?là-bas?» ne laisse plus aucun doute. 

C’est bientôt la petite aube grise, le taxi qui attend pour le prendre à l’aéroport et les larmes de maman qui a peur «?à son âge?», comme elle dit pudiquement, de ne plus revoir son fils.
Le lendemain, quand on passe lui souhaiter selon la formule consacrée «?comme elle lui a fait ses adieux de le retrouver?», la maison est étrangement vide. C’est à nouveau une maison de vieux, de celles que les enfants ont désertées.

C’est mon petit frère, et il est reparti au Canada.
 
 
L'Orient-Le Jour
 
2020-04 / NUMÉRO 166