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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Les festivaliers


2012 - 08
On s’était promis de quitter Beyrouth tôt. Mais voilà qu’on est, comme toujours, en retard, ce qui met notre cher époux en rogne. On se maquille à la va-vite pour ne pas l’énerver davantage. En réalité, on est crevée après une journée éreintante au bureau, mais notre intello de mari ayant décrété d’une voix sépulcrale que « ces derniers temps, le niveau de notre vie artistique avoisine zéro », on n’a pas osé protester et on a acheté à prix d’or des billets de festival pour l’opéra-sublime-que-tout-le monde-doit-voir.

Les lacets de la route de montagne nous donnent rapidement mal au cœur. Il nous faut encore faire la course pour rattraper le bus comme des écoliers mal réveillés. On s’affale sur la première banquette venue sur laquelle est déjà installé… notre gynéco qui sourit, vaguement gêné. Totalement incongru.

À la descente du bus, c’est le sprint vers les « manakich ». On se pousse sournoisement, on crie plus fort pour être servis en premier, on brandit son argent devant le commerçant qui joue au villageois et qui, ravi de l’aubaine, en profite pour tripler ses tarifs. Ce n’est pas tous les jours que des Beyrouthins affamés le supplient de les nourrir. Pour les plus malchanceux, il reste des frites ramollies et du pop-corn réchauffé. Quant aux touristes et aux expatriés, ils succombent à des produits « du terroir » habilement emballés dans de la jute qui proviennent vraisemblablement… de la supérette du coin.

C’est bientôt l’heure d’entrer. On se résigne. C’est que c’était bien plus amusant de saluer tout le monde et de voir « qui est là et qui n’est pas là ». Implacablement, les hôtesses départagent les spectateurs selon le prix de leurs billets. À gauche, les plus modestes qui rasent les murs, à droite les plus riches qui bombent le torse. On se salue hypocritement en jaugeant le coût du billet de ses amis. Au premier rang, à côté des personnalités et des « socialities » qu’on voit chaque mois dans « Futilités », trône, à notre plus grande stupéfaction, cette parvenue de Mimo. Depuis quand elle est amatrice d’opéra celle-là ? 

Le spectacle commence. Ce qui n’empêche pas les gens d’entrer en grappes, de se chamailler avec les hôtesses sur leurs places et d’écraser les pieds des autres spectateurs à coups de « pardon » et de « chut ».

À côté de nous, une vieille dame profite du résonnement des cymbales de l’orchestre pour croquer des « chips », alors que son époux sommeille en ronflant doucement et qu’un jeune couple énamouré met à profit l’obscurité pour se bécoter. C’est bientôt l’entracte. Et de nouveau la ruée vers les « manakich ». 

Décidément, un festival, ça creuse énormément.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166