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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul



2015 - 08
Avant, la liste des invités aux mariages était toute simple?: d’abord, les oncles, tantes, cousins et cousines. En premier, tante Jeannette qui tenait à mettre pour la énième fois son manteau défraîchi de grand couturier datant de l’époque de splendeur de son défunt mari en Égypte. Puis, l’oncle nouveau riche, certes quelque peu voyant – on redoutait devant les beaux-parents sa cravate rouge bariolée comme un oiseau des îles sur son ventre rebondi – mais si gentil et généreux. Enfin, les voisines follement curieuses qui vous guettaient toutes les nuits pour savoir à quelle heure vous rentriez avec votre fiancé, et cela dans le seul but d’éviter leur mauvais œil au vu de la laideur de leurs filles, vouées, d’après votre grand-mère, à un célibat certain. Pour faire bonne mesure, on rajoutait les copines chic des parents et quelques députés de la région, suivant le principe archi-connu, «?on ne sait jamais, on peut un jour en avoir besoin?». C’était tout. On n’aurait jamais eu l’idée d’inviter des étrangers. D’abord, les lignes téléphoniques ne fonctionnaient pas. Et puis, «?la situation?», comme on disait pudiquement, ne le permettait pas.

Aujourd’hui, votre fils qui, comme tous les jeunes, vit à l’étranger, refuse obstinément de se marier si son meilleur copain de bureau Ching Wang Wu n’est pas présent et songe même à faire traduire votre brave messe maronite en chinois. Il vous prévient aussi que son collègue irlandais viendra camouflé à la messe, car sa mère protestante le tuerait si elle savait qu’il entrait dans une église catholique. Vous avez peur de devoir gérer, outre les multiples embûches d’un mariage à la libanaise, une guerre de religions à Belfast?!

Le jour dit, son amie Janet, une Black gigantesque, se présente à l’église avec une véritable volière sur son énorme chapeau et fredonne des gospels déchirants pendant toute la cérémonie. L’évêque a l’air stupéfait, sans compter qu’il vient de remarquer le kilt rouge sur gambettes blanches arboré par John, le copain écossais du marié, et le kimono vert jade de Ai-Ki-Wa que vous preniez pour une délicate geisha avant de comprendre qu’elle est le boss de votre fiston chéri.

Heureusement que pour cette ambiance Benetton, vous avez prévu un prêtre parlant anglais. Pour ainsi dire. Car vous ne comprenez pas un traître mot de ce qu’il baragouine.

Les anglophones non plus, il vous semble.
 
 
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