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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Beau livre



Par Fifi ABOU DIB
2012 - 03
Génial autodidacte, amoureux des livres et du voyage, créateur chez Plon, en 1997, de la collection des Dictionnaires amoureux, l’un des plus grands succès d’édition français de ces dernières années, Jean-Claude Simoën est aussi un auteur. Un auteur, pas un écrivain, puisqu’un écrivain est surtout à ses yeux un romancier. Il est l’auteur de nombreux ouvrages (plus d’une dizaine) qui reflètent la conception du livre tel qu’il l’aime?: un cabinet de curiosités serré entre textes et images, un objet magique qui offrirait autant de plaisir que de découverte, et en tout cas la promesse d’un grand dépaysement.

Après un Voyage en Égypte, David Roberts, avec Guy Rachet et David Roberts publié chez Arts Stock en 2008 et une Épopée de l’archéologie?: Savants et aventuriers publiée chez Fayard en 2009, le voici qui revient aux éditions de La Martinière avec un ouvrage qui est en quelque sorte une version accomplie des deux précédents. Simoën raconte volontiers qu’il est venu à l’Égypte suite à une promesse faite à sa fille de lui offrir ce voyage pour la récompenser de son bac. Sauf que ce pays est devenu sa passion et qu’il ne se passe plus une année sans qu’il y fasse un saut tant il lui faudrait de vies pour en faire le tour. Et tant la densité historique des différentes régions offre un voyage dans le temps autant qu’un déplacement dans l’espace.

Dans Savants et aventuriers en Égypte, l’auteur nous propose «?une remontée du temps à l’inverse de l’écoulement du fleuve et du déroulement de l’histoire?». Dès les premières pages, nous embarquons donc avec Simoën sur l’un de ces bateaux en bottes de roseaux de l’Égypte (très) antique, et nous commençons l’aventure en partant du Delta, au nord, à contre-courant du Nil, vers le sud où il se rapproche de ses sources. Nous nous dirigeons progressivement vers les premiers foyers de peuplement de l’Égypte et découvrons au fur et à mesure ces régions entourées de désert et qui sont, au dire d’Hérodote, tout simplement un don du Nil.

Du Delta au Caire où le lecteur est instruit sur les balbutiements de l’égyptologie, de Siwa, l’oasis en plein désert où se dresse le temple d’Amon, à Tell el-Amarna, de Louksor et Karnak où nous dressons nos tentes dans le camp de Champollion à la vallée de Rois, d’Abydos à KomOmbo, d’Assouan à la Nubie, à l’«?au-delà?» des frontières de cet empire pharaonique, berceau de la civilisation telle qu’elle a été d’abord transportée en Occident par les Romains, un au-delà qui nous ramène en quelque sorte à nous-mêmes, c’est à un voyage en chambre, un tourisme immobile et fascinant que nous invite Simoën.

En plus de nous offrir de passionnants compagnons de voyage, artistes, savants, aventuriers, archéologues qu’il nous permet de rencontrer et d’accompagner, l’auteur remplit nos bagages d’objets, d’images et de textes, précieux trophées d’un périple que d’autres ont mis plusieurs décennies à boucler.

On s’émeut de l’histoire d’amour d’Antoine et Cléopâtre, des bouleversants portraits mortuaires de Fayoum, on déchiffre les hiéroglyphes avec Champollion, bon, mais on apprend aussi que c’est Auguste Mariette, protecteur des antiquités égyptiennes et fondateur du musée du Caire, qui a écrit en 1868, à la demande du vice-roi Ismaïl Pacha, le texte de l’opéra Aïda que Verdi a mis en musique. On explore les pyramides, on observe derrière l’épaule de David Roberts ou de Prisse d’Avennes la réalisation d’une aquarelle avec ces perspectives incroyables qu’offre le gigantisme des monuments. Au détour d’une cataracte, on découvre des crocodiles, mais ce sont des «?Cook’s crocodiles?», des monstres fluviaux que le pionnier du tourisme égyptien a fait poser à l’intention de ses ingénus clients. On peut aussi imaginer l’abandon de ces sites en ces jours où les dangers du printemps arabe ralentissent l’affluence du chaland étranger. On pense à la réflexion désabusée de Flaubert qui disait n’y voir de trace de vie que «?les inscriptions des voyageurs et les fientes des oiseaux de proie?».

En attendant que la situation se stabilise, on peut toujours prendre ce livre comme un merveilleux avant-goût d’un de ces voyages exceptionnels dont on revient avec l’impression de s’être rencontré soi-même. 


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
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