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Entretien



Par Edgar Davidian
2014 - 09
Un petit livre d’entretiens qui voudraient jeter une lumière sur Romain Gary et le sens de sa vie. Plutôt téméraire quand on connait le talent de dérobade de l’auteur de Clair de femme. Et surtout quand on songe aux multiples noms (Émile Ajar, Shatan Boyat et Fosco Sinibaldi) qui renvoient à la même plume et à la même personne. Comme un jeu de miroirs ou des poupées gigognes matriochkas pour un labyrinthe où l’on a du mal à se retrouver. Tout en ramassant des bouts de vie, des étincelles de révélation et des miettes de vérité. 

Champion dans l’art de se dissimuler derrière des pseudonymes et le cran du port des masques, Romain Gary qui aurait eu cent ans s’il était encore vivant, n’a cédé à la postérité que ce qu’il a bien voulu dévoiler. Et on prend cet héritage et ces aveux avec précaution. Le jeu de piste pourrait peut-être durer encore longtemps. Sait-on jamais avec cet écrivain de race qui affectionnait tant de confondre ses détracteurs et ses amis??

Par delà les nombreux exégètes et analystes, pour ce centenaire donc, Gallimard publie, avec une préface de Roger Grenier, Le sens de ma vie, un entretien accordé par l’auteur de La vie devant soi à Radio-Canada en 1980, quelques mois avant sa mort. Mais l’émission ne fut diffusée que le 7 février 1982. On retrouve dans cette ultime confession la voix de celui qui défraya les chroniques en obtenant à deux reprises le prix Goncourt et qui doutait toujours de la vie, de la gloire, du succès, de son talent. Et s’il jouait, en un incroyable artiste du dépassement, au chat et à la souris avec le public et la presse, en changeant de ton, d’écriture, d’inspiration et de nom, c’est comme pour se prouver –?et prouver aux autres aussi?!?– qu’il pouvait revenir sur la scène littéraire à chaque fois renouvelé. Ressuscité. Bardé d’une énergie nouvelle.

Comme ce pacte, suicidaire et émouvant, qu’il avait fait avec Dieu de ne jamais vieillir. Lui qui avait osé écrire ce titre qui fait frémir les hommes qui perdent leur virilité avec l’âge?: «?Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable?». Car Romain Gary a pour essence, source de vie et épicentre, la femme. Et si son ticket n’est plus valable en ce champ de la séduction, la vie est loin d’être un don du ciel…

En substance il avait dit?: «?La seule chose qui m’intéresse, c’est la femme. Je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité.?» Et ses romans en portent l’empreinte et la trace avec éclat. Il a donné à la femme une place royale, une part léonine. Avec des personnages phares et poignants telle cette Madame Rosa, ancienne pute au cœur grand comme ça quand il s’agit de l’enfance délaissée… Mais aussi le portrait saisissant de son intrépide mère dans Les racines du ciel.
Né en Russie en 1914, jeunesse voyageuse, carrière diplomatique aux quatre points cardinaux, apprentissage pour être aviateur, dévotion à De Gaulle mais surtout, par delà tout ce vent remué, sacerdoce pour l’écriture. Commencée dès neuf ans, avec la langue de Tolstoï?! Dans un appétit goulu d’avaler la vie et de percer tous les coins d’ombre de la planète. Un travail intense et sérieux. Comme pour tout écrivain de poids. Un écrivain qui prospecte et décrit la réalité mais fabule pour mieux voir, narrer et exister. Car dans ses gènes, du côté de ses parents, il ya aussi la passion et les sortilèges du théâtre. 

Acrobatie avec les langues sous le feutre de ses stylos. Du russe au polonais pour finir avec la langue de Molière et de Steinbeck, l’expression avait pour lui des fluidités et des élégances déroutantes. Même le plus malin des caméléons y perdrait sa peau…

De cette traversée humaine aux fulgurances innombrables et aux déboires non moins innombrables entre deux métiers précaires, car de voyage en Afrique en aventure cinématographique en passant par des études de droit, les seules constantes sont l’encre et le papier, le stylo et la page noircie. Rageusement. Passionnément.

Comment se retrouver dès lors dans ce flot d’aveux où le roman le plus picaresque se mêle aux aspirations d’un fringant homme de lettres que la terre entière ne contient pas?? Rien de ce que confie Romain Gary dans ces entretiens n’est en fait nouveau. Ses livres, une œuvre considérable de presque plus de quarante ouvrages, ont déjà livré plus d’une clef. Mais où se trouve en fait un être vivant?? Où se cache son cœur profond et son essence?? Dieu seul le sait. 

Mais revenons respectueusement aux mots de l’écrivain tumultueux. À ses derniers mots qu’il cède comme un testament?: «?Et je ne voudrais simplement pas qu’il y ait plus tard, quand on parlera de Romain Gary, une autre valeur que celle de la féminité.?»

Paroles transcrites et on y souscrit?!


 
 
D.R.
« La seule chose qui m’intéresse, c’est la femme. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Le sens de ma vie de , (Entretien accordé par Romain Gary à Radio-Canada en 1980), Gallimard, 2014, 112 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166