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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Entretien
Adrien Bosc, un écrivain moderne


Par Jean-Claude Perrier
2014 - 12
La saison des grands prix littéraires français achevée, retour sur le parcours fulgurant de Constellation, premier roman encensé par la critique, récompensé par le prix de la Vocation et le Grand prix du roman de l’Académie française, beau succès de librairie et futur best-seller international. Son auteur est un jeune homme pressé, tête bien faite et bien pleine, passionné par le livre et l’édition.

Comment avez-vous vécu toute cette aventure ?

On m’aurait dit que j’obtiendrais le quart de ce qui s’est passé autour de ce livre, j’aurais déjà été étonné !

Écrivez-vous depuis toujours, ou Constellation est-il votre premier manuscrit ?

Je n’avais rien écrit auparavant, hormis des carnets de notes que j’emporte partout avec moi. Constellation est bien mon premier roman, dont j’ai découvert l’histoire par hasard. Le roman a pour sujet le crash de l’avion « Lockheed Constellation » Paris-New York d’Air France, qui s’est écrasé le 27 octobre 1949 sur le Pico de Vara, une montagne de l’île Sao Miguel, dans l’archipel des Açores. À bord, 48 membres de l’équipage et passagers, dont le célèbre boxeur Marcel Cerdan, et la violoniste Ginette Neveu. À l’origine, en tant que mélomane, c’est Ginette Neveu qui m’intéressait. Plus que Cerdan, sur qui j’ai ensuite lu pas mal, notamment ses lettres d’amour à Edith Piaf, très belles, très émouvantes. J’étais tombé sur un enregistrement de l’émission de télévision culte de Jacques Chancel, Le grand échiquier, « L’âme des violons », consacrée au luthier Étienne Watelot, un miraculé indirect, puisqu’à l’origine il devait prendre le fameux avion, et Ginette Neveu le bateau. Mais l’une a préféré la rapidité, et l’a payé de sa vie, et l’autre la lenteur, et a survécu. Watelot racontait notamment qu’on avait repêché, dans les décombres, la volute du violon de Ginette Neveu. Un objet transitionnel, romanesque, comme un totem. Cette histoire m’a passionné, touché, elle était pour moi.

Quelle était votre intention, en écrivant ce livre ?

Montrer le rôle du hasard, de la fatalité, dans la destinée d’êtres humains. Et pas seulement les deux « people » à bord, mais aussi les anonymes, à qui je rends vie, en écrivant le tombeau littéraire de chacun. M’intéressait aussi le contexte de l’accident, cet immédiat après-guerre qui connaît une formidable explosion technique, qui conduit à aujourd’hui. On assiste alors à une accélération des échanges, les distances se réduisent grâce aux progrès de l’aviation. C’était aussi une époque plus luxueuse que la nôtre. Le « Constellation », c’était un appareil où les conditions de vol étaient luxueuses. Pour la première fois, on y servait des plateaux-repas, idée inventée par Air France.

Contrairement à de nombreux auteurs de premiers romans, vous n’avez pas puisé votre inspiration dans votre propre histoire. Vous ne pratiquez pas « l’autofiction » ?

Non, mais ce n’est pas une stratégie. Ce que j’aime, c’est m’emparer d’un fait réel pour le transfigurer, redonner au passé un sens, qui n’est valable que pour moi. Le présent, à mes yeux, ne fait pas sens, parce que, disait Leibniz, on est comme « collés au tableau ». Il faut prendre du recul pour que le puzzle s’agence. Je ne me vois pas pratiquer un autre genre de roman.

Songez-vous déjà à votre deuxième roman ?

Oui, et j’y travaillais déjà avant la publication de Constellation. C’est ce qui m’a permis, peut-être, de garder « la tête froide ». J’ai envie de creuser mon sillon, de continuer à inventer l’aspect romanesque d’une histoire réelle.

Les connaisseurs du milieu littéraire disent que, surtout après un tel succès, le cap du deuxième roman est difficile à passer. Qu’en pensez-vous ?

Vous savez, un succès populaire, c’est toujours un malentendu ! C’est quelque chose qui nous dépasse, qu’on ne comprend pas trop. Je sais bien que mon prochain livre sera examiné à la loupe par les critiques, et peut-être sans indulgence. Mais ça ne m’inquiète pas. J’ai un métier, et l’écriture, pour moi, ce sont des heures volées à l’utile. Ma seule préoccupation, c’est de ne pas écrire en fonction de l’attente qui se serait créée chez les lecteurs, de ne pas refaire le même livre, tomber dans un système. Je ne referai pas le même livre. Mais, pour éliminer toute pression, il faudrait presque passer directement au troisième roman !

Vous êtes quelqu’un de réputé discret, qui ne parle pas beaucoup de lui ?

Si, dans mon livre, où le « je » intervient. Il y a une part de moi-même qui y est présente. Si on lit attentivement, on peut y distinguer mes propres doutes, mes interrogations. Pour le reste, mon parcours est connu. Je suis né à Avignon, en 1986, dans une famille d’architectes, à l’exception de mon frère David, qui est éditeur chez Noir sur Blanc, à Lausanne, et écrivain : son roman La claire fontaine, paru chez Verdier, a figuré en 2013 sur la première liste du Goncourt ! Ensuite, je suis « monté à Paris » pour achever mes études de lettres et de philo. Je voulais intégrer Normale supérieure, mais pas pour être professeur. Je n’en avais aucune envie. Alors, j’ai fait un master d’édition à Paris IV-Sorbonne. J’ai travaillé un an à L’Avant-scène, la revue théâtrale de Philippe Tesson, en tant que responsable commercial. J’adore avoir les mains dans le cambouis de la diffusion, que j’ai fait passer du stade artisanal à quelque chose de plus professionnel. Puis, je suis allé travailler chez Allia, la maison de Gérard Berréby. C’est là, dans leur sous-sol, que j’ai créé les éditions du Sous-Sol, qui publient la revue Feuilleton, un trimestriel, depuis 2011, et la revue Desports, trois numéros par an, depuis janvier 2013. Ainsi que des livres.

Vous dirigez donc deux « mooks », comme on ne devrait pas dire, ces revues vendues uniquement sur abonnement et en librairie, qui se sont pas mal développées en France depuis quelques années. Quels sont les concepts de Feuilleton et de Desports ? Et comment se porte ce micro-marché ? 

Feuilleton, un peu sur le modèle de la revue anglaise Granta, publie des textes de format long et des nouvelles d’auteurs français, ainsi que des reportages d’auteurs étrangers, que nous traduisons. Sans publicité, elle se vend à 5 000 exemplaires environ, dont 500 à des abonnés. Desports rassemble des plumes françaises à qui on propose d’écrire des grands reportages sportifs, de se confronter au sport, de façon décalée, de devenir en quelque sorte des « enfants d’Antoine Blondin ». Le sport est un prisme parfait pour parler de tout. La revue accueille quelques pages de publicités ciblées, mais redessinées par nos soins, et se vend à 4-5 000 exemplaires également. Quant au marché des « mooks », que les Anglo-Saxons appellent des quaterly, il y en a actuellement une trentaine en France, et il commence à être saturé. Les tables des librairies ressemblent un peu à des mouroirs. C’est une étape. Il est probable qu’une sélection va s’effectuer…


 
 
D.R.
« Ce que j’aime, c’est m’emparer d’un fait réel pour le transfigurer »
 
BIBLIOGRAPHIE
Constellation de Adrien Bosc, Stock, 2014, 196 p.
 
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