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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Tintin forever
Que ceux qui n’ont jamais été embarqués dans une aventure de Tintin lèvent la main?! Près de trente ans après le décès de son créateur, l’image de ce très jeune journaliste n’a pris aucune ride. Le film de Spielberg vient de confirmer ce constat.

Par Zeina BASSIL
2012 - 01
Allant par monts et par vaux, bravant des montagnes enneigées, des déserts arides, des grottes périlleuses, des ruelles lugubres, Tintin se retrouve ligoté, noyé, menacé, sous la lame tranchante de la mort qui le titille dans chaque album, au tournant d’innombrables cases. Son courage et sa vivacité le tirent de bien des situations délicates. Usant de la ruse comme dans Le temple du soleil, où il réussit à effrayer le peuple inca par le phénomène de l’éclipse solaire et échappe au sort fatal qui l’attendait. Il suffit d’un cercle, d’un petit nez bien rond, de deux points, d’une houppe et d’un air de jeune ingénu de quinze ans pour traquer des voyous, capturer des trafiquants, sauver des vies et marcher sur la Lune. L’œuvre hergéenne ne manqua pas de passer bientôt sous la loupe des interprètes, des psychanalystes et des explorateurs du neuvième art pour déchiffrer la remarquable situation du jeune héros sans parents, sans contraintes du quotidien, occupant un poste de journaliste pour lequel il ne produit jamais d'article. Il arpente seul le monde accompagné de son unique ami, Milou. Ce n’est qu’à la rencontre du capitaine Haddock dans Le crabe aux pinces d’or que Tintin trouve un coéquipier jouant le rôle du faire-valoir. Cette amitié introduit Tintin dans une ambiance de petite famille exclusivement masculine à laquelle s’ajoute plus tard le professeur Tournesol, surtout après l’installation du capitaine Haddock au château de Moulinsart, à la fin du Trésor de Rackham le rouge.

Les multiples aventures de Tintin ne sont pas strictement le fruit de l’imagination de Georges Prosper Remi, dit Hergé (1907-1983), mais sont surtout basées sur l’histoire. Le personnage de Tintin, inspiré par un jeune scout danois, a vu le jour dans Le petit Vingtième, supplément pour la jeunesse du Vingtième siècle. Hergé, rédacteur en chef de la publication, lassé de dessiner L’Extraordinaire aventure de Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet, et après avoir créé Les aventures de Totor en 1926 dans Le Sifflet, s’engage en 1929 dans la première histoire de sa longue saga Tintin au pays des Soviets, où le jeune journaliste plonge dans les misères de l’URSS. Notre reporter favori accumulera les expériences exotiques et se retrouvera en 1930 en plein colonialisme dans Tintin au Congo, où il s’exerce entre autres à l’enseignement de jeunes Africains. La malédiction de la tombe de Toutankhamon qui toucha Carter et Camavon ne laisse pas Hergé froid. Ce dernier envoie Tintin en Égypte éclairer la mystérieuse énigme d’une sépulture, dans Les cigares du Pharaon en 1932. En 1931, suite à la fin de la guerre de Chaco entre le Paraguay et la Bolivie, Hergé nous emmène en Amérique du Sud dans L’oreille cassée. Les pas de notre héros le conduisent à Shanghai en 1934, dans Le Lotus bleu, durant la période du conflit sino-japonais pour témoigner d’une guerre et traquer un trafic d’opium. De même, il s’aventure dans les Balkans en 1938 dans Le Sceptre d’Ottokar, album prémonitoire de l’époque lugubre du fascisme pour sauver la monarchie Syldave. En 1950, L’Or noir met sur la table les enjeux du pétrole et des richesses phréatiques. Tintin n’est pas seulement à la recherche des secrets et des intrigues de son époque, il est aussi capable d’exploits à la Jules Verne. C’est donc le premier homme à fouler le sol lunaire dans On a marché sur la Lune, dix-sept ans avant Neil Armstrong.

Maître de son trait, de son langage graphique (traits simples et aplats de couleur) et de son style narratif (réalisme des décors, régularité des strips, unité et continuité des plans) qualifié de «?ligne claire?», Hergé établit les règles solides d’une école de bande dessinée qui fera florès, en Belgique et de par le vaste monde. Rien n’est laissé au hasard, le décor, les costumes et les répliques confirment la possibilité de la véracité des situations, ce qui rend le jeune reporter plus authentique et accessible. Le côté ludique de la création de cette œuvre réside de même dans le fait que les personnages des différents albums sont inspirés d’individus réels, qu’ils fassent partie de l’entourage d’Hergé ou du monde des célébrités. Les fameux Dupondt sont Alexis et Léon Rémi, père et oncle de Hergé?; Tchang, le jeune Chinois, n’est autre qu’un étudiant du nom de Tchang Tchong-jen qu’Hergé a connu à Bruxelles?; Rastapopoulos, ennemi juré de Tintin qu’il retrouve dans le dernier album inachevé L’Alph-Art, est largement basé sur Aristote Onassis tandis que la Castafiore est inspirée par Maria Callas?; sans oublier le chef du parti de la garde d’Acier dans Le Sceptre d’Ottokar nommé Müsstler, une combinaison entre Mussolini et Hitler.
Mises à part la force narrative et la beauté graphique de cette passionnante saga, les clins d’œil et les références ne sont pas des moindres. Pour cette raison, l’œuvre d’Hergé subit parfois une forme de censure plutôt politique lors de traductions et de nouvelles impressions. Le drapeau américain dans certains albums cède la place au drapeau rouge et noir d’un pays imaginaire, un cours de géographie dans Tintin au Congo se transforme en une banale équation de calcul, «?2 + 2 =???», un matelot noir ligoté dans Le crabe aux pinces d’or change de tête pour devenir un homme blanc, des soldats britanniques accompagnant Tintin au poste dans L’Or noir sont transformés en Arabes arborant des keffieh. Le génie d’Hergé qui culmine dans le non-dit et dans le cadre de l’image n’a pas passé le contrôle du politiquement correct.

Malgré les règles strictes régies par les héritiers de l’auteur, Tintin a été récemment adapté au cinéma par Steven Spielberg, qu’Hergé avait jugé seul apte à traduire à l’écran. Adoptant la 3D, le célèbre réalisateur concocte un film d’animation à partir de deux albums?: Le crabe aux pinces d’or dans lequel Tintin rencontre le capitaine Haddock pour la première fois à bord du Karaboudjan où il s’était fait prisonnier, ainsi que Le secret de la Licorne, où le capitaine Haddock dévoile les secrets de son ancêtre François de Hadoque, capitaine d’un vaisseau de Louis XIV.

L’histoire s’est faite ; les exploits du jeune Tintin sont terminés. En revanche, les pages de ses albums n’ont pas jauni et ses personnages ont gardé toute leur fraîcheur. Tintin continuera sans doute d’exister en tant que référence incontournable de l’âge d’or de la BD. Il restera à jamais. Pour les jeunes de 7 à 77 ans?!


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166