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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Se retourner pour avancer


Par Zeina BASSIL
2013 - 01
Prisonnier d’une léthargie affective, émotionnelle et productive, Simon Mucha, bédéiste parisien d’origine portugaise, est incapable de se lancer dans la réalisation d’une bande dessinée. Il décide alors d’abandonner son confort, sa maison, sa fiancée et sa vie parisienne pour partir dans une quête d’identité et de ses origines. Sa famille n’est plus alors qu’un vague souvenir, se résumant à quelques noms préservés dans sa mémoire de jeune enfant d’immigrés. Il part donc en voyage au Portugal, à la découverte de ses origines, et pour mieux comprendre son identité. Ses impressions, ses sensations et ses aventures quotidiennes finiront par être la matière première de son roman graphique, enfin achevé : Portugal, une œuvre qui mène le narrateur vers des personnes aux traits et au sang identiques à lui-même.

L’arrachement du sein familial de Simon Mucha se clarifie lorsque le personnage de son père est introduit dans l’histoire. Homme d’affaires absorbé par son travail, il préfère se mouler aux meubles de son bureau plutôt que de passer une semaine en famille. Simon Mucha, narrateur et héros de sa propre histoire, profite alors du mariage de sa cousine à Bourgogne pour se rapprocher de son oncle et de sa tante. D’autres personnages rentrent en scène et déterrent le passé avec des anecdotes, des discussions, des moments de tendresse et des disputes. Succombant à l’appel de son pays natal, Simon Mucha met le cap sur le Portugal, où nous le suivons dans une charmante maison familiale, qui le materne par son ambiance chaleureuse, le berce par l’accent du voisinage, le nourrit à son généreux potager et lui fait découvrir les promenades étonnantes à vélo. Sur sa table de travail, Simon Mucha – probable avatar de Cyril Pedrosa, l’auteur – retrouve enfin le goût de la vie, du travail et de la passion.

Il suffit d’entrouvrir ce large et épais roman graphique pour être aspiré dans une tornade de formes et de couleurs. Les planches renferment une richesse de style peu habituelle au sein d’une même histoire. Cyril Pedrosa emploie différentes techniques de dessin et de mise en couleur pour varier la narration graphique au rythme et au contenu de chaque scène de l’histoire. Le visuel passe ainsi avec beaucoup de légèreté d’une atmosphère à une autre, d’une planche aux couleurs tempérées et aux coups de crayons vifs, à une planche où le noir domine et les traits sont fragiles. Parfois, comme dans une planche où Simon et son père discutent intimement, le décor et les personnages se dissolvent dans les cases et les aplats de couleurs. L’image devient douce et les barrières tombent.

Le scénario est aussi intelligemment façonné. Bien qu’aucune action majeure n’ait lieu tout au long de l’histoire, l’auteur mène le lecteur par le bout du nez en imposant un rythme lent qui laisse le temps au plaisir de disséquer et de contempler les scènes et les décors, d’observer et d’analyser les nombreux protagonistes aux caractères fortement affirmés et sentis. Comme lors d’un voyage sans guide touristique, Portugal est une narration où on ne s’attend à rien, mais qui nous fait découvrir mille et une choses, et qui nous surprend.

Voyager et retourner dans son passé pour pouvoir évoluer fut le choix du narrateur. Cette découverte de soi fonctionne comme un roman d’initiation solitaire qui s’appuie sur la mise en abîme de l’auteur-narrateur. Cyril Pedrosa et Simon Mucha n’ont sûrement pas fini de voyager ensemble.


 
 
Portugal est une narration où on ne s’attend à rien, mais qui nous fait découvrir mille et une choses.
 
BIBLIOGRAPHIE
Portugal de Cyril Pedrosa, illustrations en couleur, Dupuis, 2012, 261 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166