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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Le dragon et l’hirondelle


Par Toufic SAFIÉ
2008 - 01
La guerre, un dragon sur une tenture accrochée dans l’entrée d’un appartement, au premier étage du 38, rue Youssef Semaani. Omniprésent tout au long de l’histoire, son ampleur se fait relativement importante en fonction d’un astucieux jeu de dimensions. Il est toujours à l’arrière- plan, derrière les personnages et leurs affaires, tous réunis dans l’ « entrée » : dernière et seule pièce où l’on pourrait se sentir en « sécurité » et essayer de se construire une vie parallèle à la mort qui rôde à l’extérieur.

Après son premier album 38 rue Youssef Semaani, Zeina nous revient pour raconter une journée de 1984 où elle dut rester avec son frère, cloisonnée chez la brave et douce Anhala, à attendre ses parents, bloqués à l’autre bout de la rue, par une pluie d’obus (une autre journée de routine pendant la guerre)... C’est là que commence un chaleureux entassement d’affaires, de préoccupations et de voisins qui partagent « sfouf », légumes et whisky, dans l’intimité fraternelle créée à l’abri des bombardements.

Tout en conservant son authentique choix du noir et blanc, Zeina Abirached emprunte des styles assez variés qui s’entremêlent et se complètent pour raconter les événements d’une journée particulièrement saisissante. Les premières pages introduisent le cadre spatial vers la maison paternelle. Dessinées dans un style photographique, elles donnent l’impression d’un « clic » silencieux à chaque page tournée. Les personnages sont représentés dans un style immobile ; d’une simple position de main ou d’un changement de regard, ils dégagent une expressivité bouleversante. Chacun d’eux ajoute une « valeur humaine » à l’entrée-refuge pour la consolider un peu plus.

Le dialogue, aussi simple soit-il, touche par sa forme et la disposition de ses mots : dans une scène où tout le monde écoute en silence la radio, les bulles des flashs infos sont arithmétiquement « additionnées » les unes aux autres avant de révéler le résultat final : 81 morts et 221 blessés…  Le livre est clairsemé de petites cartes, de croquis presque naïfs et de schémas légers ; itinéraires d’une maison à une autre, d’un avant et d’un après. Par des flash-back et des parenthèses intelligemment placés dans l’évolution de l’histoire, Zeina enrichit son témoignage par des anecdotes qui rappellent la beauté d’une époque révolue.

Le dragon finit par rappliquer, et les hirondelles s’en vont… Mais la jeune fille qui a vécu cette épreuve, qui est partie, est aujourd’hui revenue en artiste confirmée. Elle dessine, non par nostalgie, encore moins pour moraliser ; mais pour (faire) revivre un bonheur qui a été tué par un obus. Et pour le dédier à ceux qui l’ont partagé..

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles de Zeina Abirached, Cambourakis, 2007, 186 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166