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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
L'amour virevoltant en double


Par Ralph Doumit
2017 - 06

Ce n’est pas la première fois qu’une publication associe le texte d’un romancier aux dessins d’un auteur de bande dessinée. Joann Sfar lui-même avait joué le jeu en 2014 sur La Promesse de l’aube de Romain Gary, une co-édition Futuropolis-Gallimard.

Mais l’expérience que proposent les éditions Flammarion avec À cause de la vie, en couplant le même Sfar à la romancière Véronique Ovaldé, est quelque peu différente. Il est cette fois question, dès l’origine, d’un travail de collaboration, dans laquelle s’alternent des pages de textes et, non pas des illustrations, mais des planches de bande dessinée. Les narrations écrites et dessinées se suivent, se chevauchent, se complètent ou se répètent, se répondent ou se contredisent au fil des chapitres de ce quasi-huis-clos qui met en scène une amourette entre deux enfants voisins.

Nathalie est une fille bien solitaire, mais qui sait s’inventer des histoires. Celle d’un prince charmant, par exemple, gentleman ou américain (et pourquoi pas les deux à la fois), qui viendrait l’emmener loin. Quel n’est donc pas sa surprise lorsqu’elle développe des sentiments pour le garçon le moins à même de la faire voyager : son voisin du dessus ! Eugène, lui, est bègue. Il évite autant qu’il le peut de parler et, s’il sonne à la porte de Nathalie, ce n’est que par extrême nécessité : il a besoin d’une pompe à bicyclette. Nathalie et Eugène, habitués à leurs bulles, choisiront de communiquer désormais par messages écrits, glissés aux quatre coins de leur immeuble : des messages succincts (mais bien suffisants, puisqu’ils se comprennent à demi-mots) en forme de défis lancés pour prouver leur amour.

Sans doute amusée par ce ping-pong narratif avec Joann Sfar, l’écriture d’Ovaldé est plus facétieuse que jamais. Chaque phrase semble un jeu, un clin d’œil, chaque nom de personnage (souvent à rallonge) un programme en soi. Les phrases sont si dansantes qu’on aimerait les écouter, plutôt que de les lire. À coup de parenthèses drolatiques, de virgules qui sonnent comme des apartés, le lecteur est pris dans un déferlement effréné de mots. Gare à qui aura lâché l’attention quelques paragraphes. 

L’exercice est par ailleurs taillé pour Joann Sfar. S’il est en ce bas monde un auteur qui revendique sa liberté, c’est bien lui. Or voilà justement que dans ce duo qu’il compose avec Véronique Ovaldé, son rôle est sans contrainte. Le texte pouvant se suffire à lui-même, les ajouts, les redites, les moments à présenter ou re-présenter en bande dessinée sont livrés à son entière convenance. Mieux : le texte étant riche en descriptions, jusqu’à l’abondance, Joann Sfar est plus que jamais libre de n’en retenir que ce qui lui parle. Au fond, personne ne viendra réclamer de lui le chainon manquant entre les paragraphes déjà parfaitement huilés d’Ovaldé, ni le détail du décor qui manquerait à la compréhension des scènes.

Un livre rafraîchissant dans les pages duquel le plaisir joueur des deux auteurs est palpable.
 
 
BIBLIOGRAPHIE
À cause de la vie de Véronique Ovaldé et Joann Sfar, Flammarion, 2017, 160 p.

 
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166