Par Ralph Doumit
2018 - 03
Sur la couverture de
La Saga de Grimr s’impose, centré, un visage rageur, jeune mais résolument
marqué, et dont les sourcils épais et froncés témoignent d’un tempérament de
feu. Le récit ample qui suit, sous le pinceau de Jérémie Moreau, la destinée de
ce personnage déstabilisant, vient de recevoir le Fauve d’Or du meilleur album
de l’année au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême,
succédant à Paysage après la bataille d’Éric Lambe et Phillipe de Pierpont.
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L’histoire de Grimr se
déroule en Islande, au milieu des plaines, des monts, des mers et des falaises.
Lorsqu’on découvre ses cheveux rouges et hirsutes, sa bouille ronde et ses yeux
perçants en début de récit, Grimr est encore un enfant, orphelin. Trop jeune
encore pour se souvenir avec précision de ses parents. Or en Islande, au XVIIIe
siècle, celui qui ne tire pas fierté d’une ascendance, celui qui ne se réclame
pas d’un père, est comme sans identité.
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Bouillonnant d’une
rage de vivre que rien ne contient, c’est au fil de rencontres avec des individus
aussi marginaux que lui, tantôt bandit de grands chemins, tantôt famille isolée
sur laquelle pèse une malédiction, qu’il construira un destin, des liens. Il
fascinera, sans jamais s’intégrer à eux, ceux qui ont le privilège de vivre en
société.
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Plus de deux cent
pages durant, le lecteur le suit à travers les âges dans un récit au souffle
épique où chaque scène est chargée affectivement. Jérémie Moreau n’est jamais
dans la retenue lorsqu’il s’agit de raconter les sentiments : ses personnages
sont expansifs, comme habités par la sauvagerie des éléments naturels qu’ils
côtoient. Ils sont d’Islande, le revendiquent, mais, plus que cela, semblent
« être l’Islande », incarner la force accidentée de ses paysages et se déployer
comme ses grandes étendues.
Jérémie Moreau est de
ces jeunes auteurs qui créent des ponts entre animation et bande dessinée.
Passé par l’exigeante école d’animation des Gobelins, il garde de cette
formation un sens évident du mouvement, et une force dans la caractérisation
des personnages. Délaissant les outils numériques qu’il utilisait dans ses
premiers albums, il propose ici des pages somptueusement aquarellées. Une
technique de l’aquarelle qu’il a développée sur le terrain, à coup de
représentations de paysages, lors de longues semaines durant lesquelles il
suivit le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Certaines séquences muettes
de Grimr semblent directement issues de cette expérience, véritable ode à la
nature et à ses formes tantôt structurées tantôt aléatoires.
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La force de l’album tient également dans ce jeu subtil
entre héroïsme et quotidien. Car La Saga de Grimr est le récit d’une vie.
Parfois grandiose, parfois simplement humaine. Une vie qui porte en elle un
potentiel de légende, mais ne l’est pas encore. Il faudra l’œil d’un mystérieux
personnage, double vieillissant de l’auteur, qui croise le chemin de Grimr et
entreprend d’en narrer les aventures pour que cette vie devienne saga.