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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée



Par Ralph Doumit
2019 - 01


Posy Simmonds, illustratrice britannique, intègre le quotidien The Guardian en 1972 à l’âge de 27 ans et deviendra l’une des dessinatrices attitrées du journal. Vingt-cinq ans de loyaux services plus tard, son rédacteur en chef lui demande en 1997 ce qu’elle prévoit pour l’année qui suit.

Habituée aux formats courts qu’impose la presse, elle émet le souhait de travailler sur une histoire longue en bande dessinée sous la forme d’un récit à épisodes. L’idée séduit, mais il y a un hic?: l’espace disponible dans le journal est oblong, à la verticale, somme toutes assez peu adapté à une narration classique en bande dessinée. Posy Simmonds prend la contrainte à son avantage et imagine un récit à la mise en page modulable, alternant allègrement des blocs de textes proches de l’écriture romanesque et des cases de bande dessinée.

Naîtront au fil des ans, sur ce principe devenu sa marque de fabrique, trois personnages féminins qui donnent leurs noms à trois comédies sociales?: Gemma Bovery, libre adaptation contemporaine de la Bovary de Flaubert, Tamara Drewe et, aujourd’hui, Cassandra Darke.

Cassandra Darke, la soixantaine bedonnante, les joues tombantes, est peut-être des trois la plus inattendue. Experte à l’œil avisé, Cassandra tient la galerie d’art de son ex-époux, remarié de longue date avec sa belle-sœur. Tombée en disgrâce pour avoir vendu un faux en connaissance de cause, elle profite de l’indulgence de la justice pour vivre retirée, assistant à la marche du monde d’un œil lointain et désenchanté.

Mais voilà que, de passage dans le sous-sol de son appartement, elle découvre une arme à feu, cachée dans une poubelle. Lui revient alors en mémoire la période durant laquelle elle avait hébergé là, quelques années plus tôt, Nicki, la fille de son ex-époux, aspirante artiste aux amours agités.

Entre le monde des galeristes, sa famille éclatée, sa vie de sexagénaire et celle autrement plus animée de la jeune Nicki, la présence de cette mystérieuse arme à feu complète avec une certaine malice le décor de cette comédie dense aux embranchements multiples.

Quel plaisir de retrouver l’écriture de Posy Simmonds, élégante, aux mots choisis, et qui met à profit ce rythme alterné?: tantôt les pavés de textes, qui prennent le temps d’explorer les pensées de Cassandra, tantôt la respiration des cases de bande dessinée. 

Formée au commentaire social du dessin de presse, Posy Simmonds sait mieux que quiconque caractériser ses personnages et animer ses scènes de rue ou de soirées mondaines d’un sens percutant de la gestuelle. Difficile d’ailleurs, en sortant de la lecture de l’album, de détacher de son esprit la figure de Cassandra Darke, et sa manière de se mouvoir, légèrement balancée et se traînant avec flegme.

Cassandra Darke est une lecture de décembre. L’album, aux textes nombreux, demande du temps (du mauvais temps de préférence), une couette, un thé, et, par la fenêtre à double-vitrage, l’agitation des fêtes qu’on se surprend à regarder, au fil des pages, avec l’œil de la vieille Cassandra.



BIBLIOGRAPHIE 
Cassandra Darke de Posy Simmonds, éditions Jonathan Cape, 2018, 96 p.
 

 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166