FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait
Foenkinos, un jeune homme délicat
Auteur d’une dizaine de romans qui ont tous trouvé leur public, reçu plusieurs prix et été traduits dans plus de quinze langues, David Foenkinos a également écrit pour le théâtre et le cinéma, expérience qui l’a enchanté et qu’il renouvellera certainement. Peut-être derrière la caméra.

Par Georgia Makhlouf
2010 - 10

Né en 1974 à Paris, David Foenkinos a fait des études de lettres à la Sorbonne et suivi en parallèle une formation musicale à l’école de jazz de Paris avant de devenir professeur de guitare. Il vient ensuite à l’écriture, naturellement dit-il, car « les mots ont commencé à prendre de plus en plus de place. Je passais deux ou trois heures par jour à jouer de la guitare, et je suis passé à l’écriture avec la même assiduité, dans la même excitation. Au début, j’écrivais surtout des lettres, j’avais besoin de m’adresser à quelqu’un. Puis petit à petit, je me suis mis à m’adresser à un lecteur imaginaire. Le besoin d’écrire était premier, c’était un besoin impérieux, presque érotique. Les sujets sont venus après ». Il découvre aussi les livres, lui qui n’avait rien lu avant 16 ans, et ses lectures le nourrissent et contribuent à construire son univers littéraire.

Parmi les auteurs qui ont compté pour lui, il cite toujours et en premier Albert Cohen dont Belle du seigneur lui a ouvert les portes de la fantaisie, de l’humour et... des femmes, comme personnages romanesques s’entend. De Philip Roth, il aime ce qu’il nomme « la petite ambition ». « Il y a chez Roth deux veines majeures. Dans la première, je placerais ses romans amples et ambitieux qui prennent à bras-le-corps des moments-clés de l’histoire de l’Amérique, comme La tache par exemple. La deuxième veine correspond à ce que j’appellerais des romans à hauteur d’homme, c’est-à-dire ceux où le propos tourne autour de la maladie, la vieillesse, les fragilités du corps, le doute quant à sa capacité à séduire... C’est le cas dans Exit le fantôme. Cette deuxième veine me touche davantage. » Il s’en sent proche dit-il, étant lui-même, bien que débordant de projets et d’énergie, sensible à cette mélancolie, cette « intimité avec ce qui nous échappe ». Il y a enfin Bernard Frank qui lui a « permis de trouver son écriture », c’est-à-dire son goût pour les aphorismes dont il parsème ses livres, le rythme de ses petites phrases dans lesquelles on sent une jubilation de la trouvaille et du bon mot. Il aime que le lecteur se glisse dans ses romans avec complicité, et s’amuse de son ton ludique et des digressions surprenantes qui interrompent régulièrement la narration (la recette du plat que ses personnages sont en train de manger au restaurant, les horaires des trains qu’ils vont bientôt prendre, la discographie de John Lennon s’il n’avait pas été assassiné en 1980...). Il confie néanmoins que s’il a cherché avant tout à faire rire dans ses premiers romans, il va à présent vers plus de gravité et de mélancolie.

Sa thématique essentielle est celle de l’amour et des relations de couple, et il la traite avec une légèreté loufoque et un humour dans l’air du temps qui se teinte volontiers d’ironie. Il aborde ainsi les ravages de l’inconstance et de la « collectionnite », l’angoisse de l’abandon, l’imprévisibilité du coup de foudre, la fragilité du bonheur en couple et la tentation de l’adultère. Mais il lui arrive également d’exercer son ironie sur lui-même lorsqu’il met en scène dans Qui se souvient de David Foenkinos ? un écrivain raté cherchant une idée pour écrire un roman. Beaucoup de Polonais et de Suisses traversent ses romans et l’on est en droit de s’en étonner. De la Suisse, il dit aimer la régularité, le cocon protecteur, le côté raisonnable. Il envisage sans rire d’y finir sa vie. « J’ai l’impression d’être né vieux, dit-il, et j’ai volontiers un côté casanier, soupe et charentaises. » De la part d’un jeune homme qui semble si bien dans son époque, cela surprend et il s’en amuse. Puis il explique qu’ayant traversé une longue maladie et passé beaucoup de temps à l’hôpital, il en a gardé un certain rapport à la vieillesse, au temps qui passe, à la nécessité de ne rien perdre de ce qui nous est donné, de photographier mentalement les choses. Il nomme cela son « attitude d’anticipation positive ».

La délicatesse, son dernier titre, raconte la vie brisée de Nathalie suite au décès brutal de François avec lequel elle a vécu une idylle sans nuages et un mariage pleinement heureux. Comment se reconstruit-on après un drame ? Peut-on avoir une deuxième vie sentimentale après une telle perte ? Et par quels chemins cela passe-t-il ? Voilà les questions qui sont au cœur du récit, et que Foenkinos cherche à résoudre sans se départir de son ton léger et de son humour. « En matière amoureuse, dit-il, c’est le corps qui décide. Le moment où un chagrin d’amour prend fin est imprévisible et cela se fait à notre insu. » Pour Nathalie, cela passera par la surprise : elle va être surprise par un homme, vraiment surprise, et ce que cet homme a de particulier, c’est sa délicatesse, à contre-courant des comportements de l’époque.

Les prénoms de ses personnages semblent avoir une importance capitale pour lui, et il les commente amplement à l’intérieur du roman, comme si le fait de s’appeler Chloé ou Nathalie prédestinait forcément à avoir tel ou tel trait de caractère, et même à se trouver dans telle ou telle situation. Il confirme. « Choisir un prénom, c’est 90 % du travail. Le plus dur pour moi est de trouver le prénom de mes personnages. » De même, il dit adorer « réduire les personnages à une idée, un cliché. Cela permet d’embarquer les représentations dans lesquelles on est enfermé et, chemin faisant, de les renverser ». Et cela donne des personnages caractérisés par le fait d’être très « soupe » ou très « Mireille ».

Foenkinos est un écrivain prolixe. Certains connaissent l’angoisse de la page blanche. Lui dit avoir le syndrome de la page noire. « Il y a toujours un roman qui s’écrit en moi. Je suis obsédé par l’écriture, dans un état d’excitation permanente. J’écris beaucoup, tous les jours, et comme je voyage énormément pour accompagner mes livres lorsqu’ils sont traduits, j’aime aussi écrire en mouvement, dans les trains, les avions, les hôtels. » Il vit ainsi dans l’euphorie du roman en cours pendant des mois. Et puis un jour, quand il sent que « les personnages peuvent vivre sans moi », il sait que le livre est fini.

En ce moment, il travaille sur son projet d’adaptation cinématographique de La délicatesse. Après l’énergie si solitaire de l’écriture romanesque, le travail en équipe qui caractérise l’aventure d’un film va lui apporter une respiration bienvenue. Et l’on ne s’étonnera pas qu’il cite Woody Allen comme l’une de ses références artistiques, parce que ce cinéaste se tient dans un équilibre subtil entre gravité et humour, parce qu’il sait à merveille traiter de choses profondes en gardant toute sa fantaisie.

*Une rencontre avec David Foenkinos animée par Georgia Makhlouf aura lieu le 5 nov. à 17h à l’Agora. Une signature de son ouvrage suivra au stand de la Librairie Antoine.

 
 
© C. Hélie / Gallimard
« Choisir un prénom, c’est 90 % du travail. Le plus dur pour moi est de trouver le prénom de mes personnages »
 
BIBLIOGRAPHIE
La Délicatesse de David Foenkinos, Gallimard/coll. Blanche, 200 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166