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Portrait
Patrick Rambaud, Saint-Simon de notre temps
Auteur prolixe et prix Goncourt en 1997 avec La Bataille, Patrick Rambaud vient de publier sa Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, une satire impitoyable du mandat de Nicolas Sarkozy. Portrait d’un écrivain de talent qui allie parfaitement érudition et humour.

Par Rita Bassil el-Ramy
2010 - 02
Avec ses lunettes carrées et sa barbe de philosophe, il a le profil d’un élève studieux. Mais l’image est trompeuse : « Quand j’avais ton âge, je détestais l’école. Les années cinquante étaient tristes, les gens s’habillaient sans couleurs, les enfants portaient des cravates. J’ai passé des années bouclé dans un collège de 8 heures du matin à 7 heures du soir ; même les jeux étaient obligatoires. Tout prisonnier a le droit de s’évader. Comme la télévision existait à peine, nous nous évadions dans la lecture… » C’est ainsi que Patrick Rambaud se souvient de son enfance dans La Grammaire en s’amusant. Adulte, les choses ne s’arrangeront pas avec les études puisqu’il aura passé uniquement deux mois en 1966 à la faculté de lettres de Nanterre. « Ça me rasait tellement c’était ennuyeux, confie-t-il à L’Orient Littéraire. Nanterre était loin à l’époque. C’était à une heure et demie de la place de l’Étoile. Il fallait prendre deux bus. Il y avait un bidonville gigantesque au pied de la fac. Il y avait un cours le matin à 9 heures et un autre le soir à 17 heures. On traînait dans cet endroit glauque et sinistre. J’ai tenu deux mois. J’ai passé les deux années suivantes à la Cinémathèque. J’ai oublié mon sursis. Du coup, je me suis retrouvé le 4 mars 68 dans une caserne pendant seize mois. J’ai passé le mois de Mai 68 à Evreux à la base aérienne 105. C’était assez drôle… »

L’humour sera pour Rambaud un compagnon très précieux afin d’échapper à la trivialité du réel. Après avoir débuté comme critique de cinéma sur France Inter, il se lance dans la presse écrite. Il cofonde en 1970 le mensuel sociétal Actuel dans lequel il parodie de nombreuses personnalités littéraires. Pour arrondir ses fins de mois, il prête sa plume à trois ou cinq personnalités célèbres par an. « Le Goncourt m’a sauvé », nous répète-t-il, soulagé. La Bataille, ce roman que Balzac n’a jamais composé, une épopée de trois cents pages écrites à la demande de son éditeur, Jean-Claude Fasquelle, conte la bataille d’Essling, en Autriche, première bataille que Napoléon ne gagne pas provocant un carnage, 40 000 morts. Passionné d’histoire, il consacre ses dernières années « au contemporain affreux », l’histoire immédiate, « la motivation n’étant pas toujours la même », cette fois avec moins de plaisir, vu que sa « colère » face à la « fâcheuse » élection de Sarkozy se « transforme en projet », et qu’il est « condamné à ça ». Naissent alors ses chroniques, satires désopilantes du règne de Nicolas Ier, dont le troisième tome vient de sortir chez Grasset, reprenant l’esprit de la cour de De Gaulle qu’André Ribaud avait traitée dans le Canard Enchaîné dans les années soixante. « Je fais de la parodie et non du pastiche », précise-t-il. Il s’en explique dans La Grammaire en s’amusant : « Le pastiche est un exercice d’admiration, Proust pastichait le style de Flaubert pour le saluer ; la parodie, à l’inverse, appartient à la critique, on imite un auteur pour souligner ses manies, le tourner en ridicule, faire rire à ses dépens. » Dans Les Chroniques de Nicolas Ier, Patrick Rambaud veut dénoncer et interpeller. À la manière du duc de Saint-Simon qui sut relater, dans un style imagé et elliptique, les incidents de la vie à la cour de Louis XIV, il passe au crible le régime de Nicolas Sarkozy, dit sur le mode plaisant des vérités déplaisantes, diminue des personnages de la scène publique pour les faire paraître ridicules par le biais d’une exagération très proche de la technique des bandes dessinées. Mais si le titre fait croire que c’est Sarkozy et ses proches qui sont la seule cible de Rambaud, le lecteur s’aperçoit vite qu’il n’en est rien : « La gauche est désespérante, nous répond-t-il. L’archiduchesse des Charentes (entendez Ségolène Royal), une personne toute occupée par sa grandeur, la sœur jumelle de sa Majesté, mimant l’amour de l’humanité souffrante, a les mêmes comportements que Sarkozy. Elle lui ressemble. Comme lui, elle est en perte de vitesse en ce moment. Le choix entre les deux est impossible ! » Mais ce sont surtout les hommes et femmes traditionnellement de gauche et bénéficiant de « l’ouverture » qui sont les plus raillés : Carla Bruni, reconnue de gauche et ayant le statut particulier d’être l’épouse du président, est évidemment la victime la plus exposée. Dans cette troisième chronique, Rambaud est surtout frappé par le fait que le régime de Nicolas Ier est un régime policier : « Nicolas Ier imagine la société comme un supermarché qui espionne ses clients avec des caméras et des vigiles… » Y aura-t-il une suite ? « Je suis obligé de continuer, soupire-t-il. Mais c’est un cauchemar, parce qu’il faut tout lire, tout suivre. Pour un petit livre, il faut une documentation infernale. Il ne faut pas rater un événement ou le détail qui tue. » Une sorte de travail de presse politique, mais en traitant différemment l’événement avec 6 mois de recul. « Je continuerai jusqu’à ce que Sarkozy s’en aille », promet-il. Il ouvrira sa quatrième chronique sur la clausule de la troisième, avec le « fracassant procès menaçant du Duc de Villepin, qui vous faisait trop d’ombrage ». De nouveaux personnages viendront occuper l’avant-scène, comme au théâtre : Frédéric Mitterrand, « le prince Jean », le Goncourt et l’affaire de Marie Ndiaye… et se tissera comme de coutume sur le modèle des Lumières et des Moralistes, ces intemporels. « L’année du Goncourt, je voyageais beaucoup. Le seul livre que j’amenais avec moi dans mes déplacements était Les Caractères  de La Bruyère. J’adore aussi la comédie italienne des années 60, surtout le cinéma de Dino Risi de Mario Monicelli, mon rêve c’était de faire Les Monstres, I Mostri », parce que, dans le même esprit que celui des Lumières, on mélange les genres en permanence, on passe du sinistre au drôle. Facétieux, Patrick Rambaud dédie sa chronique au dramaturge « L’Arétin, terreur des puissants, qui mourut de rire à Venise en 1556 » !


 
 
D.R.
«  Je fais de la parodie et non du pastiche »
 
BIBLIOGRAPHIE
Troisième chronique du règne de Nicolas Ier de Patrick Rambaud, Grasset, 2010, 180 p.
 
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