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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait

Auteur de plusieurs ouvrages à succès traduits dans quarante pays, Javier Marias est considéré comme l’une des figures majeures de la littérature espagnole actuelle. Retour sur la vie et l’œuvre d’un écrivain capital.

Par Nada ZIADÉ
2008 - 12
Né à Madrid en 1951, fils du philosophe Julian Marias, Javier Marias a vécu plusieurs années de son enfance aux États-Unis, suite à l’emprisonnement de son père qui s’était opposé au régime de Franco. Il débute sa carrière d’écrivain en publiant deux romans avant l’âge de 21 ans?: Los dominios del lobo (1971) et Travesía del horizonte (1973), et suit des études de philologie anglaise à l’Université Complutense de Madrid. Pendant longtemps, il se consacre à la traduction d’œuvres de plusieurs écrivains anglo-saxons comme Laurence Sterne, Joseph Conrad, Thomas Brown, etc., activité qui le formera et l’aidera à affiner son style, comme il l’admet lui-même?: «?Pour quelqu’un qui veut écrire, le meilleur exercice c’est de traduire, parce qu’en traduisant non seulement on lit avec une extrême attention, mais aussi on écrit et réécrit avec une attention extrême.?» Ces influences, auxquelles il faut ajouter celles de Cervantès, Nabokov, Shakespeare et Juan Benet – un écrivain espagnol qui fut son maître à penser et auquel il voue une affection particulière. Fort de cette expérience, il enseigne la traduction à l’Université d’Oxford où se déroule l’histoire de son sixième roman, Todas las almas (Le roman d’Oxford), récemment publié au Liban aux éditions Naufal dans une traduction de Sabah Zouein. «?J’ai un faible pour ce roman parce qu’une grande partie de mon œuvre postérieure en a surgi, et parce que c’est un roman qui reflète une certaine profondeur, une certaine mélancolie. Peut-être aussi parce qu’il correspond à une période de ma vie dont je me souviens avec beaucoup de sympathie.?» Dans ce roman, il brosse un tableau sarcastique de la cité d’Oxford et y trace le portrait de l’écrivain John Gawsworth, héritier du titre de roi de Redonda, une petite île au cœur des Caraïbes… En 1992, son roman Un cœur si blanc est salué par la critique espagnole et se vend à deux millions d’exemplaires. Bien qu’il reconnaisse que son style particulier (longs paragraphes agrémentés d’incises) rend parfois ardue la lecture de ses livres, Marias considère que son succès est probablement dû aux thèmes traités «?qui intéressent tout le monde?»?: «?Dans ce livre je parle du secret, du mariage, du soupçon, mais aussi de la persuasion, qui existent dans la vie de chacun.?» Ses romans ne racontent pas seulement une histoire, ils sont écrits à la première personne, et ses narrateurs réfléchissent et s’arrêtent pour penser. Marias a adopté un style qui, selon lui, a été très souvent utilisé dans l’histoire de la littérature, mais qui, aujourd’hui, l’est moins?; ce qu’il appelle la «?pensée littéraire?» ne signifie pas «?penser la littérature, mais penser les choses d’une façon littéraire?». De fait, ses romans sont émaillés de réflexions édifiantes qui laissent une trace, une atmosphère, une certaine impression qui va au-delà de l’histoire elle-même. Souvent comparé à Proust, il trouve «?ridicule la comparaison?»?: «?Personne ne peut être comparé à Proust. Il n’est pas le seul à avoir utilisé le long paragraphe, Henry James l’a fait, William Faulkner aussi. Mais, sans aucun doute, ce que je nomme “la pensée littéraire” existe dans la littérature de Proust.?»

Dans son roman Demain dans la bataille pense à moi, qui a reçu le prix Impac, Javier Marias parle de la tromperie et de son impact dans nos vies. Son dernier projet littéraire (1?600 pages sur trois volumes), Ton visage demain, a nécessité huit ans de travail et traite surtout de la trahison et de la difficulté ou de l’impossibilité de savoir à quoi s’attendre de ses proches à l’avenir. Marias a également publié des nouvelles, un ouvrage intitulé Vies écrites, recréation romanesque de biographies d’écrivains, et des recueils réunissant ses articles parus dans le supplément dominical du journal El Pais, où il signe une colonne hebdomadaire qui commente d’une plume acerbe la vie sociale et politique en Espagne ou ailleurs. Membre de l’Académie royale de la langue, José Marias est aujourd’hui considéré, à 57 ans, comme l’un des piliers de la littérature du XXIe siècle. Un écrivain à (re)découvrir et à suivre, tant son œuvre, quoique dense, procure toujours un plaisir infini.



 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
L’homme sentimental de Javier Marias, Gallimard, 224 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166