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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Olivier Poivre d’Arvor sur tous les fronts
À la tête du réseau culturel français à l’étranger en tant que directeur de Cultures France, Olivier Poivre d’Arvor est aussi un écrivain reconnu. Son dernier roman, Le Voyage du fils, a déjà été couronné par les Lauriers verts de la Forêt des livres, le premier prix de la saison littéraire en France, et figure dans les sélections des prix Renaudot et Femina. Rencontre avec un homme infatigable et polyvalent.

Par Nathalie SIX
2008 - 11
«P lus j’avance dans la vie, plus je prends conscience de la vanité des choses et des gens », déclare, d’emblée, le directeur de Cultures France, opérateur culturel émanant du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture. La perte de temps l’horripile. On le croit mondain, toujours pas monts et par vaux, à courir les dîners, les cocktails, alors qu’il déteste la futilité de ces réceptions obligées où tout le monde joue un rôle. Idem pour les réunions administratives qui s’allongent, grignotent les heures sans que rien ne se décide vraiment. Le temps est devenu une obsession chez ce touche-à-tout, « intensément curieux, en permanence sur la brèche », selon l’éditrice Sabine Wespieser qui le connaît depuis une dizaine d’années et l’a souvent vu à l’œuvre à l’étranger. Envolés ses rêves d’Italie à la Villa Médicis ? Il en a dix autres en stock. Curieusement, une ambassade ne le tente guère : peur de se sentir enfermer, ou alors « dans un pays à risques » par goût du défi. Il se verrait plus volontiers rue de Valois au ministère de la Culture. Ambitieux, il l’est sans aucun doute, mais autant pour lui-même que pour son pays. « Olivier est un passeur ; quand il croit à un projet, il ne s’économise pas ». Après le Marathon des mots, Salon du livre de Toulouse qu’il a créé en 2004 avec Olivier Gluzman – 72 000 visiteurs en juin dernier –, il a défendu la candidature de la ville rose pour le titre de capitale européenne de la culture en 2013, malheureusement coiffée au poteau par Marseille.

Chez Olivier Poivre d’Arvor cohabitent en permanence deux personnages : côté face, le diplomate, côté pile, l’écrivain (auteur d’une quinzaine d’ouvrages seul ou en collaboration avec son frère Patrick) et l’amoureux du théâtre (il est le cofondateur, avec Jean-Christophe Barbaud en 1987, de la compagnie théâtrale Le Lion, avec laquelle il participa à plusieurs spectacles). Il a eu 50 ans cette année, l’âge de la crise de milieu de vie : « J’ai envie de repartir à zéro », confie-t-il. À l’heure des bilans,  il accouche d’un nouveau livre, un roman écrit seul, dans l’urgence, l’expression d’un cri face à une situation sordide, à la limite du grotesque : la mort accidentelle d’une femme poussée par la peur.
Dans Le Voyage du fils, Olivier Poivre d’Arvor reprend un fait divers survenu à Paris en septembre 2007. Une Chinoise sans papiers s’était défenestrée d’un appartement de Belleville alors que des policiers arrivaient pour opérer un contrôle d’identité dans son immeuble. Ironie du sort : les agents de police ne venaient pas pour elle. Écœurées et révoltées, quelques associations décident de faire venir le fils de cette femme afin de lui remettre les cendres de sa mère et de lui demander pardon pour la France. Contacté en tant que directeur de CulturesFrance, Olivier Poivre d’Arvor demande à rencontrer le jeune homme de vingt ans : il l’invite à déjeuner puis à dîner. L’affaire le touche plus qu’il ne l’aurait cru ; quand le Chinois repart, le diplomate continue d’y penser, il ira le voir en Chine du Nord, à Fushun, dans la même contrée reculée dont est originaire l’amant de Marguerite Duras dans son roman éponyme. Là-bas, il comprend qu’il a face à lui la matière d’un livre tel qu’il cherche à en écrire depuis quelque temps. « J’aime l’idée de me servir de l’actualité. J’avais envie de me mettre dans la peau de ces immigrés pour qui venir en Europe est une question de survie. » À ses yeux, à quoi sert la littérature sinon à témoigner des douleurs de son époque ? Énervé, il déplore que le roman français contemporain manque de souffle, en se détachant complètement de la réalité. « On ressasse toujours des vieilles histoires, la vie sexuelle des uns et des autres : ces ro mans exhibitionnistes pour happy few, je ne les supporte plus. » De là à dire que son livre est une critique des lois actuelles sur l’immigration et de la politique des quotas, il n’y a qu’un pas… que le haut fonctionnaire des Affaires étrangères ne franchira pas, devoir de réserve oblige. L’enjeu est plus universel : « L’immigration est le vrai sujet de notre époque car cela pose un problème réel d’humanité. Pourtant, les gouvernements précédents, de gauche comme de droite, l’ont évacué. Comment dire à des gens “vous n’êtes pas les bienvenus chez nous”, alors que nous avons été élevés dans une culture des droits de l’homme ? » Héritier de la Révolution française et d’un cosmopolitisme très dix-huitièmiste, il croit à l’enrichissement par les autres. « Une société totalement renfermée sur elle-même, coupée du monde, serait terrible », prophétise l’écrivain qui avoue être tout autant « contre l’immigration sauvage ».

Ses nombreux postes à l’étranger (Égypte, Angleterre, Hongrie) lui ont permis d’être à la fois critique vis-à-vis de son pays, et fier d’un système (avec les Missions Stendhal, les résidences à la Villa Médicis, villa Kujoyama, etc.) qui a peu d’équivalent dans le monde. « En France, la culture est prise au sérieux, dans un petit pays comme le nôtre à l’échelle de la planète, c’est même la richesse de demain. » C’est d’ailleurs lorsqu’il était à la tête du Centre culturel français d’Alexandrie qu’il découvrit le Liban. « Mon plus beau souvenir ? À Baalbeck à la tombée de la nuit, le site était désert, la pierre d’un caramel orangé, c’était magnifique. » En 2006, il est revenu à Beyrouth pour accompagner le Théâtre du Rond-Point. En général, quand il aime un endroit, il y revient toujours. « Je ne suis pas dans la demi-mesure », proclame le globe-trotter. S’il choisit un jour de quitter la diplomatie, ce sera pour s’expatrier au bout du monde, vivre loin de tout et écrire le grand roman de sa vie. Dans Le Voyage du fils, Thomas Schwartz, l’écrivain qui fait venir le jeune Chinois en France, a tout lâché, sa femme, sa vie de bourgeois consumériste, pour se convertir au bouddhisme et servir la cause des sans-papiers. Lucide, Olivier Poivre d’Arvor reconnaît que vouloir s’afficher à tout prix avec le dalaï-lama obéit à une certaine mode, assez éloignée d’une quête spirituelle ; lui s’est contenté de rencontrer la sœur du chef religieux sur l’île de Ré cet été. Sa religion à lui, il l’a trouvée depuis longtemps : l’écriture. « C’est ma façon de me retirer du monde. » Et pour cela, nul besoin de prendre l’avion ou le train.




 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Voyage du fils de Olivier Poivre d’Arvor, Grasset, 254 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166