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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Michel Déon ou la liberté des îles


Par Josyane SAVIGNEAU
2008 - 11
Michel Déon ne se souvient pas du temps où il n’écrivait pas. « J’écris des romans depuis l’âge de quatre ou cinq ans », annonce-t-il d’emblée dans la préface d’un volume de ses œuvres dans la collection « Quarto ». « Revenant du Petit Cours La Fontaine, rue du Ranelagh, un genou légèrement écorché pendant la récréation, j’ai prétendu avoir été attaqué par un loup avenue Mozart. Fort heureusement, j’avais pu le tuer avec un bâton. C’est bien mon premier roman. Faute de savoir écrire, je le parlais. » Ses parents ne se sont pas moqués de lui, n’ont pas découragé cette vocation naissante. Mais c’est en 1944, l’année de ses vingt-cinq ans, que paraît son premier « vrai » roman, Adieux à Sheila (éd. Robert Laffont). Une cinquantaine ont suivi, et d’autres écrits, dont du théâtre. On ne s’étonnera donc pas de l’absence ici d’une bibliographie complète, pour laquelle il est conseillé de se reporter au « Quarto », qui comporte en outre une chronologie très détaillée établie par sa fille, Alice Déon. Bien qu’il ait franchi toutes les étapes de la reconnaissance littéraire et du succès public – dans les livres et au cinéma avec notamment l’adaptation d’Un taxi mauve par Yves Boisset, avec Philippe Noiret, Fred Astaire, Peter Ustinov et Charlotte Rampling –, bien qu’il soit à l’Académie française depuis 1978, Michel Déon est resté un homme qui aime « vivre ailleurs », loin de Paris, même s’il y fait de fréquents séjours. Il dit avoir toujours eu le goût des îles, et, depuis trente ans, c’est une grande île qu’il habite, l’Irlande.

Son île fut d’abord plus petite, et grecque. En 1959, à quarante ans, il découvre, non loin des côtes du Péloponnèse, Spetsai. Il s’y installe avec sa compagne, Chantal, qu’il épousera quelques années plus tard, et qui désormais élève des chevaux en Irlande. Il y fait construire une maison, où il écrira  les très beaux récits réunis plus tard sous le titre Pages grecques – Le Balcon de Spetsai, Le Rendez-vous de Patmos, Spetsai revisité. Ce n’est pas du soleil que s’est lassé cet homme, qui, comme les héros de ses livres, est un séducteur amoureux du Sud, des parfums de jasmin, de la mer… c’est du développement du tourisme. Ce qui l’a conduit, alors que depuis dix ans il partageait son temps entre Spetsai et l’Irlande, à vendre, en 1988, sa maison grecque. « La Grèce m’aura obsédé, écrit-il au début de Cavalier, passe ton chemin !. Je ne cesserai jamais d’y penser, de remuer les souvenirs, de laisser sa lumière pénétrer dans mes livres, mais c’est l’Irlande qui m’aura gardé… enfin… jusqu’aujourd’hui… laissons à demain ses libertés. L’Irlande est là tandis que j’écris devant la fenêtre et que monte le soir, rose encore à l’horizon, déjà sombre avec de lourds nuages bleuâtres que le vent pousse vers le grand Atlantique. »

« Liberté » est assurément un mot qu’il faut retenir, lorsqu’on parle de Michel Déon. S’il aime le roman, c’est parce qu’il est « un espace de liberté », qui ne doit obéir à aucune règle, ni se fixer de quelconques limites. La liberté va souvent de pair avec une curiosité toujours en éveil. Si Michel Déon, grand lecteur, ne se lasse jamais de Joyce, de Larbaud, de Conrad, il n’est pas de ceux qui dédaignent la lecture de leurs contemporains et de leurs cadets. Parmi ces derniers, il aime particulièrement Jean Rolin. Et si on lui demande ce qui peut bien réunir l’ancien maoïste qu’est Jean Rolin et le maurassien qu’il est, il n’a qu’une réponse, évidente : « Tout simplement la littérature ».

À ses auteurs de prédilection, il va consacrer un essai, auquel il travaille depuis un certain temps. On attend impatiemment ce tribut qu’il veut payer à ses pairs, cette manière de remercier ceux qui ont fait de lui l’écrivain qu’il est.




Le « Quarto », Gallimard, paru en 2006, rassemble Thomas et l’Infini, La Chambre de ton père, Les Trompeuses espérances, Les Poneys sauvages, Un taxi mauve, Un déjeuner de soleil, La Montée du soir, Cavalier, passe ton chemin !
 
 
© Laurent Giraudou / Opale
 
2020-04 / NUMÉRO 166