FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait
Le fabuleux destin de Muriel Barbery
L’élégance du hérisson de Muriel Barbery a fait tranquillement son chemin et, le bouche à oreille aidant, figure depuis plusieurs mois en tête des meilleures ventes. Qui est l’auteur de ce roman ? S’attendait-elle à un tel succès ? Retour sur l’un des phénomènes littéraires de l’année 2007.

Par Laurent Borderie
2007 - 08
La sortie de L’élégance du hérisson à la rentrée dernière n’avait pas stressé Muriel Barbery. On ne parlait alors que du succès foudroyant du roman  Les bienveillantes  qui avait fait le vide autour de lui, provoquant la mise à l’écart injuste de très bons auteurs. Férue de philosophie, elle restait stoïque : « Un deuxième roman ne marche pas toujours, il s’agissait d’un texte de transition, je m’apprêtais à passer à autre chose. » Contre toute attente, son livre commence à faire parler de lui. « À peine le livre était-il sorti qu’on m’annonçait déjà une deuxième impression. J’ai été ravie. Trente réimpressions plus tard, je ne cesse de l’être pleinement. Je dois ce succès aux libraires qui font un travail remarquable. » La jeune femme est sereine, comme enveloppée par ce succès inattendu alors que neuf mois après sa sortie et 350 000 exemplaires plus tard, L’élégance du hérisson  est toujours en tête des ventes. Muriel Barbery a 37 ans, une agrégation de philosophie en poche et des passions plein la tête. En 2000, elle publiait son premier roman, Une gourmandise,  qui évoquait les derniers jours d’un critique gastronomique. Un petit texte, dense, qui se lisait comme l’on sucerait un sucre d’orge, avec une forme de gourmandise qui autorise le péché. Aux portes de la mort, son héros était en quête d’une saveur qui lui trottait dans la tête, une saveur de jeunesse, un mets original et merveilleux dont il pressentait qu’il valait bien plus que tous les festins de gourmet accompli. Renée, l’héroïne du Hérisson, la concierge peu amène qui vit dans un monde parallèle, accomplit ses tâches quotidiennes, et se nourrit clandestinement des grands auteurs classiques et des philosophes anciens, était déjà présente dans l’un des chapitres de ce premier ouvrage. « Elle était accessoire dans ce récit qui présentait une ronde de personnages. Il y a deux ans, j’ai relu le passage qui la concerne et j’ai entendu une voix, la sienne, j’ai su qu’elle pourrait porter un autre récit. Paloma est venue plus tard, au bout de 250 pages. Mon mari, qui est mon premier lecteur, m’a conseillé d’en faire un personnage à part entière. J’ai tout réécrit. Écrire est une chose difficile. Par chance, les voix de Renée et Paloma m’ont immédiatement portée. » L’histoire de son dernier roman est une heureuse alchimie qui raconte les destins de deux personnages atypiques : Renée, la concierge d’un immeuble de la rue de Grenelle, qui se cache par confort sous le masque de sa condition « 54 ans, petite laide et grassouillette, une haleine de mammouth, rarement aimable », et Paloma, petite fille riche et surdouée, incapable de supporter la condition humaine qui vit dans l’un des appartements cossus sur lesquels veille Renée et écrit ses « pensées profondes » en attendant de se suicider (elle a déjà choisi la date et le procédé). Elle « sait que la destination finale, c’est le bocal à poissons, la vacuité et l’ineptie de l’existence adulte ». Un locataire japonais, nouvellement installé, va bientôt transformer leurs vies et les révéler à elles-mêmes, peu à peu, jusqu’à faire sortir les papillons des chrysalides peu avenantes. Et c’est un roman pétri d’intelligence, de finesse et de culture que nous offre Muriel Barbery. Pourquoi écrit-elle ? « Par amour de la langue, parce que je pense qu’il y a une connivence profonde et salvatrice avec l’univers des mots qui procure un plaisir de la langue et du langage. Le bonheur d’entrer en relation de partage avec des lecteurs par le seul biais d’un texte est indicible. » Et l’avenir ? « Je pars en voyage avec mon mari au Japon pour une année. Je veux découvrir ce pays, m’en imprégner. Ce séjour sera long grâce au succès de L’élégance du hérisson. Je n’ai pas de nouveau roman en cours, je suis dans un état de préparation constant, mais je manque de temps pour écrire. » Elle en profitera aussi pour lire et relire Sonate sans accompagnement, un recueil de nouvelles d’Orson Scott Card « qui a écrit de très beaux textes et qui est à la hauteur de Poe ou de Borgès. Il est cantonné dans le répertoire science-fiction et c’est bien dommage ! » Muriel Barbery est ainsi : discrète, elle parle beaucoup des livres des autres, aime faire partager sa passion pour la littérature, comme s’il fallait aussi se faire oublier un peu…





 
 
« Il y a une connivence profonde et salvatrice avec l’univers des mots qui procure un plaisir de la langue et du langage »
 
BIBLIOGRAPHIE
L’élégance du hérisson de Muriel Barbery, Gallimard, 356 p.
Une gourmandise de Muriel Barbery, Folio, 166 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166