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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Nicole Avril, d'amour et d'écriture
Entrée en littérature avec fracas en septembre 1972, Nicole Avril a poursuivi son chemin de créatrice avisée, entomologiste des passions irrépressibles qui consument les destins. Elle publie chez Plon un passionnant Dictionnaire du sentiment amoureux qui en décortique méticuleusement les effets dévastateurs.

Par Laurent BORDERIE
2007 - 05
Du Liban, qu’elle a visité au début des années 70, Nicole Avril conserve un souvenir ému. « C’est là-bas, alors que je voyageais dans ce pays dont le seul nom m’évoquait, depuis le jeune âge, curiosité et envie de découvertes, que j’ai appris au téléphone que mes deux premiers livres seraient publiés la saison suivante. » Les yeux pétillent encore, à l’évocation de ce moment tellement précieux pour un écrivain, celui qui lui prouve qu’il existe « Lorsque, enfin, vous suscitez l’envie chez quelqu’un que vous ne connaissez pas, et qui décide de le publier. » En septembre 1972, la jeune femme fait la une des journaux. Elle a publié deux livres le même jour : Les gens de Misar et L’été de la Saint-Valentin, et leur qualité est unanimement reconnue. La vie de Nicole Avril bascule d’un coup. « J’enseignais les lettres à Maubeuge et Paris avant de quitter la fonction pour devenir comédienne. Dans la foulée, pour améliorer l’ordinaire d’une actrice peu connue encore, je suis devenue mannequin. J’étais dans une phase de recherche, mes deux nouveaux métiers ne me convenaient pas vraiment, je me sentais mal dans les mots des autres, alors j’ai décidé d’imaginer mon propre texte… J’ai toujours aimé lire, je considérais que la lecture était un remède à tout et, dans ma position de fille unique, elle a remplacé un grand frère ou une petite sœur. J’ai écrit Les gens de Misar dans un état de survie, celui d’une jeune femme qui se pose des questions essentielles : Que vais-je faire dans le monde ? Pourquoi faut-il aimer ? Comment ? Ce livre était ma dernière chance. Je devais y arriver, je savais que je pouvais mourir si j’échouais. » La réussite est au rendez-vous, mais il manque encore à la créatrice une chose, une seule, pour s’épanouir davantage. « J’étais dans le bus à Paris en octobre 1972 lorsqu’un jeune homme m’a fait un signe et je suis descendue. Si je n’avais pas été dans cet état de plénitude que procure le succès, je n’aurai jamais agi ainsi. Il ne me connaissait pas et je ne regardais pas la télévision. Je ne savais pas qui était Jean-Pierre Elkabbach. Depuis, nous ne nous sommes plus quittés. Nous menons une vie dans des univers qui semblent opposés. L’écrivain vit dans la solitude, dans la durée, alors que le journaliste travaille sur l’instant, dans la rapidité. J’écoute chaque jour ses émissions et lui donne mon avis. Lorsque j’écris, il est mon premier lecteur. Il découvre mes pages d’écriture devant moi, les lit à haute voix, et je sais sur-le-champ s’il « accroche » à mon travail. La lecture qu’il porte sur mon texte me séduit et me permet de continuer. Il y a une constante réflexion de l’un sur le travail de l’autre. Il m’amène le monde entier tel qu’il va et qu’il est, et cela m’irrigue, me donne la passion des autres. Mon époux nourrit une véritable dévotion, presque fétichiste, pour le livre. Nous sommes l’opposé exact des deux héros de Belle du Seigneur que j’évoque amplement dans le Dictionnaire de la passion amoureuse, nous nous irriguons mutuellement. La seule chance de la passion amoureuse est de devenir amour. La passion brûle tout, elle agit comme une entre-dévoration. » La vie commune mène bientôt à un livre à quatre mains, une nouveauté pour Nicole Avril, une nécessité. « Nous avons écrit un livre que nous avons intitulé Taisez-vous Monsieur Elkabbach ! Mon époux a été victime d’une terrible chasse aux sorcières lorsque la gauche a pris le pouvoir en 1981. Il a payé pour les autres, comme un suppôt de l’ancien pouvoir qu’il fallait sacrifier. J’ai décidé de le soutenir au moment même où tous les journaux, tous les lecteurs se passionnaient pour mon dernier livre La disgrâce, alors que Jean-Pierre lui-même en traversait une terrible. Nous avons voulu ainsi rétablir une vérité sur le fonctionnement du métier de journaliste, et la rigueur que cette profession exige. » Des exigences qui n’existent pas dans la manière dont Nicole Avril entreprend sont travail d’écriture. « J’écris toujours sans plan, je ne sais pas où je vais, mais comme je ne sais faire qu’une chose à la fois, tout se cristallise autour de mon futur livre. Le meilleur moment dans mon activité de création repose dans l’idée qui me traverse, le choc, le coup de foudre. Même l’écriture d’une biographie comme celle de Sissi, l’impératrice d’Autriche, s’est déroulée de cette façon-là. » Qu’est-ce qui, dans l’histoire de Sissi, a pu séduire la romancière ? « J’ai adoré cette femme dans laquelle reposaient les germes de l’Europe. Sissi a été contrainte de trouver sa route et son autonomie dans le carcan viennois, hérité de l’Espagne de Charles Quint. Elle a affronté une belle-mère qui a voulu la museler. Elle a osé exprimer ses passions, les afficher, elle a soutenu les idées anarchiques et elle est morte au moment même où son siècle et l’empire sur lequel régnait son époux allaient vers l’anéantissement. J’ai éprouvé le même plaisir à évoquer la passion que Dora Maar nourrissait pour Picasso, une passion devenue un abîme. »

Depuis 1972, tous les deux ou trois ans, Nicole Avril publie avec le même succès des romans dont la passion habite toujours les protagonistes. « Comment voulez-vous envisager la vie autrement que par la passion qui nous anime ? » Il n’est donc pas étonnant qu’elle publie cette année le Dictionnaire de la passion amoureuse dans lequel elle analyse les sentiments exacerbés nés de cet élan irrépressible, inexplicable et incontrôlable. « Ce dictionnaire est plus une œuvre d’écrivain que d’expertise. J’aime l’idée que l’on puisse encore écrire des dictionnaires. Rationaliser ce qui n’est pas rationnel, à savoir la passion, est une idée qui m’a séduite. Pour me préparer, je n’ai rien écrit pendant six mois. J’ai lu des livres, regardé les plus grands films et peu à peu j’ai déterminé mes entrées. La phase d’écriture est devenue un exercice littéraire et j’invite les lecteurs à le lire dans l’ordre alphabétique dans un premier temps, puis à prendre toutes les libertés par la suite. J’ai essayé de donner une dynamique intérieure, un rythme. La passion amoureuse est un fait littéraire et créatif, qui existe en Occident depuis le XIIe siècle, et dans lequel l’on peut tout puiser. La passion amoureuse a évolué à travers les siècles, autrefois elle était bornée par des interdits sociaux et religieux infranchissables, mais qui lui donnaient un contour ; aujourd’hui, elle ne l’est plus que par l’indifférence de l’être aimé. L’exercice que j’ai essayé de surmonter montre que la passion amoureuse est malheureusement destructrice, qu’elle anéantit tout, qu’elle peut tout brûler. Pourtant, elle est aussi essentielle à la création qu’à la vie ! » Il y a quelques années, Nicole Avril était l’invitée du Salon du livre de Beyrouth. « Ce voyage a été un extraordinaire souvenir qui ne pourra pas quitter ma mémoire, se souvient-elle. Au moment des dédicaces, de très nombreux Libanais m’ont demandé de signer le premier livre que j’ai publié, Les Gens de Misar. Un livre qu’ils m’ont avoué avoir lu au cœur de la guerre civile, dans les sous-sols de leur maison. J’ai rarement été aussi troublée, émue et proche des habitants du Liban. J’ai compris pourquoi j’étais un écrivain. »
 
 
« La passion amoureuse est destructrice, elle anéantit tout, elle peut tout brûler. Pourtant, elle est aussi essentielle à la création qu’à la vie !  »
 
2020-04 / NUMÉRO 166