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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Iman Humaydan : la vie au sein de la mort


Par Katia Ghosn
2015 - 12
Romancière et journaliste libanaise, Iman Humaydan est née en 1956 à ‛Ayn ‛Nūb (Aïn Anoub), un village de la montagne libanaise dans le district d’Aley. Après une scolarité au Collège universel d’Aley, elle poursuit des études de sociologie à l’Université américaine de Beyrouth. Elle se dit nomade et partage sa vie entre Paris et Beyrouth. Depuis 2007, elle dispense des cours de « creative writing » à l’Université d’Iowa aux États-Unis et dirige actuellement le Centre PEN Liban, une association apolitique non gouvernementale regroupant des écrivains et intellectuels libanais qui militent pour la défense de la liberté d’expression. Le Centre promeut également la littérature à travers des projets multiples : rencontres internationales entre écrivains, conférences et débats touchant particulièrement à des problématiques du monde arabe, ou l’organisation de cercles de lecture dans différents endroits au Liban. 

Elle publie son premier roman Bā’ mithl bayt mithl Bayrūt en 1997 chez al-Masār. Traduit en français sous le titre Ville à vif (éditions Verticales, 2003), ce roman, polyphonique, raconte les histoires de quatre amies habitant un même immeuble situé près de la ligne de démarcation qui séparait Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest et décrit leur lutte quotidienne pour exorciser la violence de la guerre civile. Dans Tūt Barrī (al-Masār, 2001 ; Mûriers sauvages, Verticales, 2007), la quête identitaire de Sara s’articule autour de la disparition mystérieuse de sa mère. Ce roman s’apparente à ce que Dominique Viart définit comme « récit de filiation » pour caractériser l’ensemble des textes qui traitent de l’ascendance du sujet. Contrairement au roman généalogique qui va d’un ancêtre à sa descendance et cherche à saisir une histoire collective à partir de parcours individuels, le récit de filiation part d'un héritier problématique et inquiet à la recherche de son ascendance dans le but de dévoiler, à travers une collecte des bribes du passé, les silences de l’histoire familiale. Son troisième roman, Hayawāt ukhrā (al-Rāwī, 2011 ; Autres vies, Verticales, 2012), aborde aussi bien le sujet de l’impossible oubli des séquelles de la guerre que celui de l’émigration et la tentative du retour. Myriam, dévastée par la guerre – son frère meurt touché par l’éclat d’un obus et son bien-aimé est kidnappé – émigre avec ses parents en Australie où elle essaie de se reconstruire sans y parvenir. Son retour, dans les années 90, motivé par la récupération d’un héritage, sera l’occasion d’une confrontation pénible avec soi et avec la mémoire des lieux. 

Dans Khamsūna grāman mina el-janna (al-Saqi, 2016 ; Cinquante grammes de paradis), le passé et le présent s’entremêlent. L’existence individuelle recoupe les chemins de la grande histoire. Le destin de Maya, la jeune artiste qui réalise un film, en 1994, sur la reconstruction du centre-ville de Beyrouth croise celui de Noura, la jeune femme syrienne réfugiée au Liban, en 1978, pour avoir écrit un livre révélant les dessous de l’affaire du suicide de sa sœur suite à une relation tumultueuse qu’elle avait eue avec un général de l’armée. Dans un appartement en ruines, Maya découvre le coffre contenant des bribes de l’histoire de Noura et de son assassinat au Liban. C’est finalement en partant à la recherche de ses traces et de celles de son fils que Maya, remontant de fil en aiguille, découvre l’existence de Kamal Firat, l’époux de Noura, un communiste originaire d’Izmir. Leur rencontre, tout en consacrant l’enchâssement du passé dans le présent, est tournée vers l’avenir. Leur volonté commune de retrouver l’enfant adopté de façon illégale par une famille vivant quelque part en Europe est un acte de résistance. 

Les romans d’Iman Humaydan dévoilent certains aspects propres à la communauté druze du Liban comme l’émigration du début du XXe siècle en Amérique latine, l’élevage du vers à soie ou la réincarnation… Ils mettent surtout en exergue la lutte des femmes contre des environnements oppressants. La solidarité et les liens intimes que les femmes tissent entre elles constituent un rempart contre le machisme, les valeurs de la société patriarcale et la violence multiforme dont la plus pernicieuse reste celle, invisible, qui sévit au sein de l’institution familiale ; Pour ces femmes, le souci existentiel primordial est la préservation de la vie au sein même de la mort. La condition existentielle de la femme est un thème récurrent. Pas étonnant de la part de celle dont les premières lectures étaient les romans de Nawal al-Saadawi. Plus tard, elle lira avec autant d’intérêt Ana ahya de Layla Baalbaki ou Hikayat Zahra de Hanan al-Shaykh.

En plus de ses romans, Iman Humaydan a dirigé un ouvrage collectif, Beirut noir, qui regroupe des nouvelles écrites par quatorze auteurs libanais sur la ville de Beyrouth, ouvrage commandé par une maison d’édition newyorkaise (Akachic books, novembre 2015).

À côté de son activité de romancière, elle a participé à l’écriture des scénarios de deux films, Shatti ya dini (Viens la pluie, 2011), réalisé par Bahij Hjeij et Asmahan, une diva orientale (2013) du réalisateur Silvano Castano. 

Iman Humaydan est très impliquée dans le secteur public. De 2004 à 2011, elle a travaillé auprès de l’Union européenne sur un projet de coordination avec une vingtaine de mairies dans le Caza d’Aley afin d’y introduire une approche participative visant à renforcer l’implication des citoyens. Bien que modeste, cette tentative s’est heurtée à la réalité et au très peu d’autonomie conférée aux institutions locales. Le projet de reconstruction et de réhabilitation des municipalités, soutenu par la Banque mondiale en 1993, qui prévoyait le transfert de certains pouvoirs administratifs aux communes, est malheureusement resté lettre morte. Nous constatons aujourd’hui, remarque-t-elle, avec la crise des déchets, les conséquences désastreuses de la politique centralisée du gouvernement.




 
 
© Tom Langdon
La solidarité et les liens intimes que les femmes tissent entre elles constituent un rempart contre le machisme, les valeurs de la société patriarcale et la violence multiforme
 
BIBLIOGRAPHIE
 
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