FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait



Par Ritta Baddoura
2016 - 07
Brouiller les pistes, mener plusieurs intrigues puis les emboîter les unes aux autres, Linwood Barclay sait faire tout cela. Il sait aussi bien en parler et lors de l’entretien qu’il accorde à L’Orient littéraire, c’est sans conteste au sujet de sa stratégie littéraire qu’il est le plus prolixe. Connu pour associer à sa manière thriller, humour, éléments fantastiques, drame social et surtout intrigues familiales, le numéro un du polar a réussi à se forger une place de choix dans le club fermé des grands maîtres du thriller. Mais avant de devenir un auteur de best-sellers internationaux, il a patiemment travaillé sa plume dans le monde du journalisme avant de connaître le succès et se consacrer à la littérature.

Barclay commence à écrire dès l’adolescence. À différents moments de notre entretien, il n’hésite pas à souligner que ses premiers romans étaient mauvais, qu’il a échoué à plusieurs reprises à trouver un éditeur. Il se demande donc comment il pouvait «?gagner de l’argent au quotidien?» et opte pour le journalisme. Il y passe trente ans mais n’abandonne jamais son projet de devenir écrivain. Lorsqu’il écrit entre 2004 et 2007 ses quatre premiers thrillers comiques (ayant pour héros Zack Walker), il assure trois rubriques dans le Toronto star. La charge de travail est lourde mais il persévère. Il va se tourner pour son cinquième roman vers une face plus sombre du thriller?: Cette Nuit-là (No Time For Goodbye, 2007 et Belfond, 2009) connaît un immense succès et se vend à plus d’un million de copies. Puis c’est au tour de Les Voisins d’à côté (Too Close To Home, 2008), de recevoir le prestigieux Arthur Ellis Award. Linwood Barclay se consacre enfin à l’écriture en 2008. Régulièrement en tête des ventes en Angleterre et aux États-Unis, ses romans sont traduits dans une dizaine de langues.

«?Lorsque vous écrivez un polar, vous avez besoin d’un crochet pour plonger immédiatement le lecteur dans l’histoire. En écrivant, plein de questions me traversent l’esprit – et si telle chose arrivait à mon héros, et si, et si…, que puis-je encore lui faire subir, comment lui rendre la vie plus compliquée?? –, mon objectif étant de captiver le lecteur. Une fois l’objectif atteint, je peux ralentir l’intrigue.?»

Barclay, qui a travaillé pendant trente ans en tant que journaliste «?dans un hebdomadaire (où) vous êtes censés produire de la matière tous les jours?», en a «?ras-le-bol des écrivains qui se considèrent plus spéciaux que les autres.?» «?Est-ce que vous imaginez un boulanger ou une infirmière se réveiller en se disant?: je ne le sens pas aujourd’hui, je n’ai pas d’inspiration ou d’envie?; ou qui se plaindraient de ne pouvoir se mettre à la tâche???», martèle Barclay. «?Les auteurs doivent dépasser cette position privilégiée qu’ils s’octroient et se mettre au travail. Les gens tendent un peu trop à idéaliser les écrivains et à excuser leur pseudo panne d’inspiration.?»

Si ses romans relèvent du polar et du thriller, Barclay dit être intéressé par des thématiques variées?: dysfonctionnements familiaux principalement, ainsi que drames sociaux, faits divers, scandales politiques. «?Écrire des polars est ce que je réussis le mieux. Le polar est un genre parfait pour traiter de sentiments complexes, de situations conflictuelles, de moments forts.?» Parmi tout ce qu’il a écrit, le polar préféré de Linwood Barclay est Fenêtre sur crime (Belfond, 2014), «?surtout pour la relation entre les deux frères?», confie-t-il, même s’il sait que beaucoup de lecteurs, dont son agent, préfèrent d’autres de ses romans. Ces derniers s’ouvrent souvent sur un ou des protagonistes en détresse, comme marginalisés du reste de la société par un mal intérieur. Comme un malheur n’arrive jamais seul, ils se retrouvent témoins et porteurs malgré eux d’une information dangereuse ou d’un lourd secret.

Dans son dernier ouvrage paru en français, La Fille dans le rétroviseur (Belfond, 2016), Cal, un détective privé dont le mariage est quasi-détruit tout comme son être ravagé par la mort de son fils adolescent (la police parle de suicide quand Cal penche pour le meurtre), devient le principal suspect d’une disparition et d’un meurtre, après avoir pris en stop une jeune fille qu’il est le dernier à avoir vue vivante puisqu’elle se volatilise le soir même dans d’étranges circonstances.

Le polar ne serait-il pas un prétexte pour Linwood Barclay pour traiter de sujets plus personnels, tels que les relations filiales?? L’auteur n’hésite pas à revenir sur son enfance et sa jeunesse, et à exposer des faits relatés sur son site web, à savoir la mort de son père lorsqu’il avait seize ans, et avec cette perte, la fin brutale de son adolescence et sa prise en charge de l’affaire familiale sur fonds de relation conflictuelle avec sa mère. «?Nous sommes tous le produit de notre enfance. Une enfance difficile est un cadeau pour un écrivain.?» Il ne dira rien de plus de ses premières années et de sa jeunesse. Il ne reviendra que sur son admiration depuis l’adolescence pour les romans policiers de Ross Macdonald qui a noué bien avant lui polar, psychologie, politique et secrets familiaux.

Les enfants et adolescents ont une place particulière dans presque tous les romans de Linwood Barclay. «?Une littérature efficace, une littérature de qualité, est celle qui traite de ce qui mine nos assises. Pour la plupart d’entre nous, la famille est ce qu’il y a de plus important. On peut se faire du souci au sujet du terrorisme ou du réchauffement climatique. Mais ce qui nous garde réveillés le soir est la crainte de perdre ce qui nous est cher, un enfant, un conjoint, ou notre travail. Je m’intéresse aux thématiques auxquelles les gens peuvent s’identifier et qui touchent à l’universel. Je pense que c’est pour cela que certains livres ont du succès dans le monde entier.?»

Comme un compromis intelligent, une rançon à la gloire où l’auteur partage à peine un soupçon de sa pensée et de son monde intérieur sans pour autant céder sur l’essentiel qui reste à l’abri de tout regard. Linwood Barclay expose avec aisance les rouages du métier d’écrivain tel qu’il le conçoit, dans le respect du travail bien fait et du labeur régulier. Au-delà, ses propos demeurent ultra rationnels?: la logique est reine et l’émotion sous scellés.



La Fille dans le rétroviseur de Linwood Barclay, traduit par Renaud Morin, Belfond, 2016, 464 p. 
Fenêtre sur crime de Linwood Barclay, traduit par Renaud Morin, Belfond, 2014, 575 p. 
Cette Nuit-là de Linwood Barclay, traduit par Marieke Surtel, Belfond, 2009, 444 p.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166