FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait
Angela, un passeur d'Histoire
Un tour du monde romain antique à son apogée, en suivant une pièce de monnaie.

Par Jean-Claude Perrier
2016 - 09
L'histoire, et sa vulgarisation, Alberto Angela tombe dedans quand il était petit. Son père, Piero, était journaliste à la RAI, la radio-télévision d’État italienne, en tant que correspondant à Paris (où est né Alberto, en 1962, lequel parle parfaitement français) et à Bruxelles. La famille rentrée à Rome, le garçon suit des études de Sciences naturelles, avant de devenir paléoanthropologue et de mener des fouilles un peu partout, surtout en Afrique, à la recherche de mammifères préhistoriques. Une fois, en Éthiopie, il est tombé dans une embuscade tendue par une tribu belliqueuse, les redoutables Issas, et s'en tire sans dommages…

En 1991, «?par hasard?», précise-t-il, il est invité par la Télévision suisse italienne (RTSI) à produire des émissions de vulgarisation scientifique, qui traitent aussi bien des dinosaures, des grands mystères de l'univers, que d'archéologie. Il en fera son métier («?divulgateur à la télé?»), remportera d'importants succès d'audience, puis deviendra auteur de nombreux livres, best-sellers ou long-sellers traduits dans le monde entier. «?Je suis un simple voyageur du temps, pas un archéologue ni un spécialiste, qui veut ouvrir la culture à tous?», dit-il. Pari réussi avec Empire, sous-titré Un Fabuleux voyage chez les Romains avec un sesterce en poche, paru en Italie en 2010, et son premier livre traduit en français. Un «?docufiction?» qu'il a écrit parce que, dit-il, «?il ne l'avait pas trouvé en librairie?». 

Son idée est à la fois simple et séduisante?: dresser un portrait de l'Empire romain à l'époque de son apogée, au Ier siècle après Jésus-Christ, sous Trajan (53-117), qui fut à la fois un conquérant, un administrateur et un bâtisseur. Mais au lieu d'un projet classique, didactique, Angela a trouvé une forme vivante?: de Rome à Rome, en passant par la (grande) Bretagne, la Gaule, l'Italie, l'Hispanie (d'où était originaire l'Empereur lui-même), l'Égypte, le Moyen-Orient, et même une petite excursion en Inde, où les Romains avaient établi quelques comptoirs, le lecteur suit les tribulations d'une pièce de monnaie d’un sesterce, le véhicule idéal, qui passe de main en main, peut pénétrer partout, chez les riches comme chez les pauvres, un peu à la manière d'une caméra. Ce qui intéresse avant tout l'auteur, ce sont les gens de l'époque, dont il s'attache à montrer qu'ils n'étaient pas si différents de nous. Angela, sans renier la rigueur scientifique («?Tout ce qui est dans mon livre est vérifié, et les phrases prononcées par les personnages puisées chez les plus grands écrivains romains?»), n'hésite pas à établir des parallèles entre l'Antiquité romaine et notre temps?: «?C'était une société ouverte, tolérante, déjà mondialisée et globalisée, où l'ascension sociale était possible, y compris jusqu'aux plus hautes fonctions, Empereur, même.?» Septime Sévère, selon lui, né en Libye, était «?un Obama de l'époque?». Le latin était la «?lingua franca?» parlée par tous les habitants de l'Empire, qui seront bientôt tous reconnus comme citoyens?; le réseau routier, extraordinaire, était un formidable moyen de communication, «?mieux que le Web?»?; quant au sesterce, c'était la monnaie commune, l'euro antique... Angela, qui a beaucoup voyagé sur le terrain, éprouve à l'évidence une profonde admiration pour les Romains (au sens large), et leurs prouesses techniques. Il raconte par exemple comment, pour passer de l'Euphrate au Tigre, ils avaient traîné des bateaux dans le désert de Mésopotamie, l'actuel Irak.

Convoquant le passé, il essaie d'en tirer des leçons?: «?Le passé sert à comprendre le présent et à orienter le futur?», estime-t-il. «?Et l'écroulement de l'Empire romain doit nous faire réfléchir?: la fin arrive quand les gens ne croient plus eux-mêmes à leur civilisation, à leurs valeurs.?» Cassandre n'était pas romaine, mais troyenne. Elle a eu le tort d'avoir raison trop tôt, et personne ne voulut la croire. Alberto Angela ne se prend pas pour un penseur, mais la lecture de son Empire, vivant et bien mené, peut donner à réfléchir au lecteur moderne. C'est aussi le rôle de l'histoire.





 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Empire. Un Fabuleux voyage chez les Romains avec un sesterce en poche de Alberto Angela, en collaboration avec Mario Pasa, , Payot, 2016, 464 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166