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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Georgia Makhlouf
2018 - 06
Il y a plusieurs années déjà que des résidences d’écriture s’organisent à Beyrouth et que l’attrait littéraire et créatif de la ville ne se dément pas, suscitant le plus souvent des réponses positives, voire enthousiastes des écrivains sollicités, quand ce ne sont pas les écrivains eux-mêmes qui font la démarche d’y rechercher des structures pouvant les accueillir. Dès 2011, les associations Assabil et Kitabat avaient organisé conjointement des résidences croisées, financées par le Conseil régional d’Île de France, pour favoriser les échanges culturels entre artistes francophones résidant en France et artistes libanais et permettre la réalisation de projets d’écriture, les «?croisements?» pouvant être porteurs de dispositifs originaux?: écrits à quatre mains, publications papier et numérique, lectures publiques, etc. Depuis 2012, Beyt el-Kottab organise régulièrement des résidences dont le but est de soutenir la création littéraire et l’exploration de problématiques contemporaines, avec la conviction que la littérature est un des lieux majeurs où le monde se pense librement.

En avril et mai, Beyt el-Kottab a accueilli Ryoko Sekiguchi, écrivaine japonaise qui vit en France depuis de nombreuses années et qui, en plus d’écrire dans les deux langues, est la traductrice de nombreux écrivains et poètes français ou japonais. Elle a une certaine expérience des résidences d’écriture, ayant passé un an à la Villa Médicis et trois mois à la villa Kujoyama, l’une des antennes de l’Institut français de Kyoto. Elle dit que ces expériences ont «?changé sa vie?» et perçoit sa résidence à Beyrouth comme «?un cadeau tombé du ciel?», cadeau qui lui est offert par le biais du courrier d’invitation que lui a écrit Charif Majdalani en décembre dernier. Elle a abordé ce séjour de six semaines à Beyrouth avec gourmandise, d’autant qu’elle a choisi de «?faire le portrait de la ville à travers tout ce qui la nourrit : les aliments bien sûr, mais aussi les recettes et les histoires de cuisine que les gens racontent?». «?Tout le monde a beaucoup à dire à ce sujet, jeunes, vieux, riches ou pauvres?», ajoute-t-elle. Elle a ainsi passé du temps sur les marchés, observé les gestes, écouté les paroles qui s’échangeaient même si elle ne les comprenait pas, s’est imprégnée des odeurs des lieux qu’elle a traversés. Elle explique que son travail d’écriture a pris la forme d’une chronique, «?une chronique joyeuse?» qui consigne les traces de sa découverte de la ville. Le choix de la cuisine pour décrire une ville n’est pas, pour elle, le fruit du hasard?: sa mère avait une école de cuisine que fréquentaient les jeunes Japonaises avant de se marier et elle rédigeait des fiches de recettes. Ryoko participait activement à ce travail, choisissant soigneusement les mots les plus justes après une recherche minutieuse sur leur étymologie et leur usage.

À propos de sa façon de circuler entre les langues, elle affirme que c’est son métier de traductrice qui a fait d’elle un écrivain, qu’elle a une longue pratique de l’entre-deux, et qu’elle aime plus que tout «?faire voyager les choses d’une culture à l’autre?».
En novembre, l’association Kitabat recevra Alexandra Badea pour une résidence courte, de deux semaines. Badea est une auteure, metteure en scène et réalisatrice dont les pièces sont traduites en allemand, en anglais, en portugais et régulièrement montées par elle-même mais également par d'autres metteurs en scène. Elle a reçu de nombreuses récompenses dont le Grand Prix de littérature dramatique 2013 pour sa pièce Pulvérisés. Elle est actuellement artiste associée au Théâtre de la Colline auprès de Wajdi Mouawad. C’est dire si pour elle, ce séjour à Beyrouth a du sens. «?Je travaille en ce moment sur un projet de trilogie autour des récits manquants et je pense que cette réflexion s’enrichira par l’échange que je pourrais avoir avec des artistes libanais. Wajdi Mouawad lui-même m’avait suggéré de voyager au Liban?», dit-elle d’emblée. Il n’y a donc pas de hasard, l’invitation de Kitabat tombe à point dans son parcours. L’idée du projet serait, précise-t-elle, «?d’interroger ensemble les récits qu’on n’a pas suffisamment racontés, de trouver quels sont les personnages non représentés au théâtre, et quelles sont les histoires qui pourraient contribuer à refermer les blessures de notre histoire, à apaiser et à réconcilier?».
Lors de son séjour qui coïncidera en partie avec le Salon du livre francophone de Beyrouth, elle animera un atelier d’écriture théâtrale. «?L’écriture c’est la solitude, l’écriture théâtrale c’est la solitude et le partage. Au cours de l’atelier, il s’agira de construire un échafaudage, une structure, un rythme, des personnages?; il s’agira d’imaginer leur évolution et leurs mutations. Écrire pour le théâtre, c’est l’assemblage d’une histoire, c’est la fabrication d’un puzzle.?» Alexandra Badea participera aussi à une Master Class qui serait organisée conjointement avec le Théâtre Monnot et l’Institut français. De nombreux bonheurs littéraires en perspective…
 
BIBLIOGRAPHIE  

Ryoko Sekiguchi a publié Calque (2001), Héliotropes (2005), Deux Marchés, de nouveau (2005), Ce n’est pas un hasard (2011) et La Voix sombre (2015) chez POL. 

Alexandra Badea a publié Contrôle d’identité (2008), Pulvérisés (2012), Zone d’amour prioritaire (2014), Je te regarde, Europe Connexion, Extrêmophile (2015) chez L’Arche éditeur.


 
 
© Felipe Ribon
 
2020-04 / NUMÉRO 166