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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Rosa Parks tient sa place
Rendue célèbre pour avoir refusé de céder son siège de bus à un Blanc dans l'Amérique ségrégationniste, Rosa Parks est considérée comme « la mère du mouvement des droits civiques ». Son autobiographie vient d'être traduite en français. Enfin.

Par William Irigoyen
2018 - 12
Mon Histoire. Une vie de lutte contre la ségrégation raciale de Rosa Parks, traduit de l'américain par Julien Bordier, Libertalia, 2018, 190 p.


La photographie a fait le tour du monde. Elle est noire, assise à l'avant d'un bus de Montgomery en Alabama et semble contempler paisiblement le paysage qui défile sous ses yeux. Juste derrière elle, un homme blanc regarde dans la direction opposée. Trouver meilleur cliché attestant la fin de la ségrégation raciale dans les bus relève de l'exploit. Normal : celle qui en est à l'origine figure au premier plan. La scène a été immortalisée le 21 décembre 1956. Il s'agit donc d'une reconstitution. Un an plus tôt, alors que chacun a théoriquement son « périmètre réservé », Rosa Parks a trouvé une place au milieu des Blancs et a refusé de la céder à l'un d'entre eux malgré les admonestations du conducteur raciste. Résultat : de la prison, un procès, une peine avec sursis et au final, une page de l'histoire américaine qui se tourne.

Co-écrite en 1992 avec le journaliste Jim Haskins, cette autobiographie permet de saisir l'origine de ce célèbre acte de résistance passive. Rosa Parks (1913-2005) a grandi et a été élevée dans le sud ségrégationniste. C'est là que s'est développé chez elle « un sens profond de ce qui était juste et de ce qui ne l'était pas ». Pas étonnant quand tout, autour de soi, témoigne d'une humiliation quotidienne : les Noirs ne doivent pas serrer la main des Blancs, ne pas se présenter à eux par leur nom de famille, étudier – quand ils le peuvent – dans des établissements de seconde zone, feindre la tristesse quand un Blanc vient à mourir... Les faits sont connus dans les grandes lignes. Mais ce livre détaille de façon chirurgicale, journalistique, l'horreur quotidienne : « Mon mari me dit qu'il y avait alors un bus public qui allait de Tuskegee à Montgomery (...). Mais ils ne laissaient pas les gens de couleur monter à bord, ils devaient voyager sur le toit du bus, avec les bagages. »

Rosa Parks ne donne jamais l'impression de se laisser gagner par la colère. Pourtant, les Blancs rivalisent d'ingéniosité pour outrager les Noirs. Quand ils n'optent pas pour des méthodes plus expéditives. L'auteure ne semble pas non plus se laisser gagner par la résignation même quand elle voit les siens courber l'échine : « Tant d'Africains-Américains pensaient qu'il fallait se soumettre à Monsieur Charlie – c'est comme ça qu'il appelait le Blanc – et qu'il fallait à tout prix ne jamais le fâcher. » Au fil des pages, des événements, naît chez elle une conscience politique, l'idée que sans une mobilisation globale et organisée, rien ne sera possible. D'où ce choix de rejoindre les rangs de la NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), la célèbre organisation de défense des droits civiques.

Pourtant rien n'est gagné. Même là, explique-t-elle, il faut se battre contre un environnement quasi exclusivement masculin avec, à sa tête, un leader aux relents machistes (« Je collectais des articles de presse pour M. Nixon, envoyais des lettres, participais assidûment aux réunions, ce qui semblait l'amuser. Il avait l'habitude de dire que la place des femmes était à la cuisine. »). Jamais Rosa Parks ne montera dans la hiérarchie du mouvement. Même après son célèbre fait d'armes, elle restera une sans-grade au service de la cause. Et sa renommée, pourtant considérable, ne pèsera pas le même poids que celle d'un Martin Luther King ou d'un Malcolm X dont elle évoque ici les parcours avec une admiration parfois critique. C'est pourtant grâce à son acte courageux que ce petit bout de femme a changé le cours de l'histoire raciale américaine.

Une fois le livre refermé reviennent en tête les propos introductifs de Julien Bordier, le traducteur : « Il est incompréhensible qu'il n'ait pas été traduit plus tôt en français. » On ne saurait mieux dire.


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166