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Aux sources du Liban contemporain
Camille Aboussouan, authentique humaniste issu de la double culture franco-arabe, nous raconte sa terre dans un livre choral...

Par Fifi ABOU DIB
2009 - 07
Né en 1919, Camille Aboussouan est le maillon d’une lignée de drogmans venus du Liban à Jérusalem, qui assumèrent cette fonction sur huit générations, qui près le couvent du Saint-Sépulcre, qui près la Custodie de Terre sainte, qui, avec le grand-père et l’arrière grand-père de l’auteur, auprès du patriarche latin de Jérusalem. Plutôt que d’écrire ses Mémoires, Aboussouan, en bibliophile éclectique, a pris le parti de partager avec le lecteur la précieuse iconographie en sa possession et, se retirant derrière l’identité de « l’Auteur », de raconter l’histoire d’un pays, le Liban, tel qu’il lui a été donné de la vivre, au passé comme au présent.

Écrivain, avocat, journaliste, éditorialiste, Camille Aboussouan demeure l’une des plus grandes figures de la culture libanaise. De son amitié de collège avec Kamal Joumblatt dont l’assassinat laissera l’Auteur inconsolé, naît le Pen Club libanais, mais aussi, en 1946, une publication « qui se voulait avec prétention l’expression d’un dialogue Orient-Occident, tout en épousant les valeurs que l’histoire avait ancrées dans le roc et les sarcophages ». Ce périodique, qui accueille de grandes signatures dont celle d’André Gide et de Michel Chiha, traite de littérature et anime les grands débats de son époque. Il est baptisé Les Cahiers de l’Est, parce que, dit l’Auteur, non sans humour, « à Athènes, les Grecs avaient créé la démocratie et le grand classicisme philosophique et culturel. Et nous en étions à l’Est ». La parution de cette revue en marge d’un monde encore sous le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale fait, en France surtout, l’effet d’un baume. Récompensé par l’Académie française, Aboussouan se voit ouvrir « les portes d’accueil internationales, de Tokyo à Nuremberg jusqu’aux États-Unis, sans parler des portes françaises ». Dès lors, Aboussouan, qui a fait ses études à l’école de droit de Beyrouth, voit sa carrière se ramifier et prendre des chemins aussi passionnants que divers, entre l’Unesco dont il deviendra le vice-président du conseil exécutif jusqu’en 1987, et le musée Sursock dont il est le conservateur de 1957 à 1978. Parmi ses nombreux travaux littéraires figure notamment une magnifique première traduction en français du Prophète de Gibran Khalil Gibran.

Tout cela ne fait pas perdre de vue à l’Auteur que les personnages-clés de son livre sont ses propres parents, Négib Bey Aboussouan, fondateur de la Magistrature libanaise, et Laure Lary « fleurantine de Gascogne », dont le père est viticulteur et la mère pianiste, premier prix du Conservatoire et élève de Charles Gounod. La famille qu’ils fondent vit entre les deux mondes qui la polarisent : Beyrouth et le village de Dhour el-Choueir dans la montagne libanaise, et la Bastide royale de Fleurance, propriété gasconne de la famille de Laure, hôtellerie du temps du roi Henri III de Navarre ; un mythe dont l’auteur ne prend possession qu’au décès d’une vieille tante, en 1980. Président de la Haute Cour libanaise de justice en 1924, ministre de la Justice en 1929, Négib bey Aboussouan pose les jalons de l’appareil judiciaire du Liban moderne et assiste avec émotion à la proclamation du Grand Liban, pays enfin indépendant.

Cet ouvrage dédié aux amis disparus, sacrifiés à l’autel de la patrie, est à aborder comme une promenade aléatoire dans l’espace et le temps. Émaillé d’une iconographie rarissime et de textes de grands auteurs, il offre, entre deux documents fondateurs, ici un portrait de Walid Joumblatt en barbotteuse dans les bras de sa mère, et là le journal tragique du fils d’un oncle assassiné à Jérusalem lors de l’attaque par les juifs des quartiers arabes de la ville le 5 janvier 1948. Si Aboussouan n’a pas été drogman comme le furent ses ancêtres, ce n’est pas moins en sherpa de l’histoire, en passeur de civilisations, qu’il prend son lecteur par la main pour le guider, à travers l’histoire d’une famille pas tout à fait comme les autres, dans les méandres de la création d’un pays.
 
 
an-Nahar
 
BIBLIOGRAPHIE
De la montagne du Liban à la Bastide royale de Fleurance de Camille Aboussouan, Les Cahiers de l’Est, 485 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166