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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Chroniques
Au fil des jours...
La grande dame des lettres libanaises Emily Nasrallah nous livre la moisson de ses jours dans une langue fluide, simple et claire qui n’a rien perdu de sa vitalité, de sa pertinence, de son charme et de son lyrisme.

Par Edgar DAVIDIAN
2012 - 05
Fidèle à une kyrielle de sujets (la vie au village, le bonheur dans la famille, les horreurs et l’absurdité de la guerre, l’émigration et son cortège de succès ou de revers, les droits de la femme), l’auteure de Toyour Ayloul (Les oiseaux de septembre) aborde dans cette trilogie-fleuve tel un roman russe, la défense de tout ce qui lui tient à cœur. En d’autres termes, elle témoigne de la vie, au fil des jours. Car ces écrits, chroniques douces-amères du temps qui passe, ont été rédigés depuis longtemps et réservés en marge des publications. Classées par ordre chronologique, dans un long chapelet de mots bruissant de ce que la mémoire garde et de ce que le futur tente de déchiffrer ou de conjurer, ces pages parlent, en toute pudeur, avec quelques légères pointes d’audace, du « moi » intime de l’écrivaine à travers une narration faisant feu de tout bois et portée ici à l’introspection.

Pour ce vibrant et délicat témoignage sur la vie, l’auteure des Cendres endormies, à travers réflexions, observations et méditations, reconstitue le passé. En toute impalpable légèreté et soyeuse détermination. Sans oublier parfois de jeter, dans une audace mesurée, un cri de rébellion… Vécu et expérience de l’âge sont la tessiture serrée de ces écrits gardés au fond des dossiers, des porte-documents et des tiroirs.

Bribes de confidences, d’aveux, de souvenirs, de discours, de billets de circonstance pour magazines, revues ou quotidiens de tous crins que ces pages aux fragrances diverses et fleurant bon toute traversée humaine. Avec des portraits de femmes de lettres arabes (Salma al-Haffar al-Kouzbari, Nazek al-Malak) entre considérations sur la nature, un chêne centenaire déployant ses longues branches comme des bras ouverts, l’amour (aussi bien conjugal que filial), la tendresse, la femme au foyer, le divorce, la parenté, l’enfance… Autant de sujets, d’images et d’idées qui s’emboîtent dans un lyrisme quand même un peu suranné, souvent romantique et saupoudré de poésie.
Flot de vocables charriant sensations, impressions et notations à travers de petits chapitres qui font défiler, dans un esprit bien littéraire, mais aussi quelquefois journalistique, les événements sociaux, culturels, patriotiques ou personnels autour d’une femme de lettres à la sensibilité vive qui a su capter avec humour les « mémoires d’un chat » tout aussi bien que retracer, avec effusion, la beauté des villages oubliés dans des forêts profondes d’un Liban aujourd’hui sauvagement dégarni de sa végétation et envahi par le béton.

En petites phrases allègres, sans recherche ni sophistication, pour un humanisme calme et souriant, avance la narration toute en musicalité douce d’Emily Nasrallah, qui a le ton d’une « mamie », certes bien nostalgique, mais qui est encore bien dans son siècle. Une narration où la condition humaine est ramenée à un âge encore non mordu par la stridence des mégalopoles hystériques, la frénésie des ordinateurs, l’incroyable fièvre de la toile sociale et la tyrannie des mobiles. Quoique ces sujets et bien d’autres, bien contemporains, soient effleurés, en une pirouette, presque à la pointe de la plume. Tout comme notre volatile et ultrarapide modernité.

Lecture en arabe, facile et agréable, que ces trois volumes qui s’érigent en un parfait livre de chevet. Un livre qu’on parcourt au hasard des thèmes et qu’on délaisse sans remords de conscience ou curiosité de percer le mystère d’une trame qui peut bien attendre qu’on la retrouve tranquillement… Un livre qui est comme une tonique promenade à travers une nature sans barrière. Et aussi un moyen de retrouver cette enfant qui a délaissé, il y a presque plus d’un demi-siècle, sa bourgade de Kheir au sud du Liban pour faire sa vie à Beyrouth, la capitale où se passe l’événement. 

Un Beyrouth omniprésent dans cette trilogie et que l’auteure d’al-Rahina (L’otage) dénonce pour ses tentations multiples, ses guerres interminables, ses excès, mais aussi qu’elle magnifie et chérit pour sa grande richesse culturelle.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Min Hissad al-Ayam (De la moisson des jours) de Emily Nasrallah, éd. Naufal, trois volumes, 1171 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166