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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Ce pays qui n'est plus le sien


Par Georgia Makhlouf
2013 - 02
Le dernier livre d’Alain Mabanckou commence par un incipit saisissant : « J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie. Je m’évertue désormais à rétablir la vérité dans l’espoir de me départir de ce mensonge qui ne m’aura permis jusqu’alors que d’atermoyer le deuil. » Ainsi donc il s’agit, par ce parcours d’écriture, de s’alléger du poids d’un mensonge, d’admettre enfin qu’un retour sur les lieux de l’enfance et de l’adolescence était plus que nécessaire, vital même, puisque c’est à ce seul prix que le travail de deuil pourra enfin se faire et que la mémoire trouée se cicatrisera. Car cela faisait vingt-trois ans que Mabanckou n’était pas allé à Pointe-Noire, ville où il a grandi et qu’il a quittée en 1989 pour poursuivre ses études en France, laissant au pays une mère courageuse et blessée qu’il ne verra pas vieillir et qui, « dans mes rêves les plus tourmentés, me tourne le dos et me dissimule ses larmes ». Il ne la verra pas mourir non plus, et ne se rendra pas à ses funérailles en raison d’une « phobie » sur laquelle il ne s’étendra pas.

Et puis en 2012, il est invité à Pointe-Noire par l’Institut français pour y donner une série de conférences et il fait enfin le voyage. Le récit qui en résulte est autobiographique certes, et vient comme en miroir de son précédent roman Demain j’aurai vingt ans. Mais si Mabanckou est de plain-pied dans ce retour au pays natal, il manifeste dans le même temps une volonté de mise à distance, comme en témoigne son regard cinématographique sur les lieux et les personnages croisés, et son choix des titres de chapitres qui, de « La gloire de mon père » à « Les enfants du paradis » en passant par « La femme d’à côté » ou « La mort aux trousses », sont tous empruntés à des films connus. 

Archéologie d’une enfance qui s’appuie, au fil des chapitres, sur des photographies anciennes que l’auteur confronte à la réalité du présent, Lumières de Pointe-Noire rend également hommage à une ville dévorante où toutes les ethnies ont creusé leur place et où les bandes d’enfants, livrés à eux-mêmes dans les rues ou les terrains vagues, « savent, à travers la rudesse de l’existence, trouver des points de lumière ». Mabanckou se rend sur les lieux qui ont été comme les piliers de sa vie d’avant, le lycée, le cinéma à présent transformé en église pentecôtiste, ou « le château de ma mère », petite cabane retirée dans le coin d’une concession. Il fait intérieurement ses comptes, « arrêté au bord du ruisseau des origines, le pas suspendu, dans l’espoir d’immobiliser le cours d’une existence », et il cherche des raisons d’aimer cette ville qui a été sienne et qui est à présent « démantibulée, mangée par son extension anarchique ». Mais il est un lieu où il ne se rend pas, le cimetière où reposent ses parents, et c’est pourtant ce qu’aurait fait n’importe quel fils. « Parce que maman Pauline et papa Roger sont venus vers moi. Ils sont dans cette pièce depuis que j’y réside. Ils me voient écrire, corrigent de temps à autre mes égarements et me soufflent ce qu’il faut consigner. » 

On lit avec plaisir et parfois avec émotion ce récit en quête d’authenticité, même si on peut regretter par moments une écriture plate et un peu hâtive.

Au terme du voyage, l’auteur a sans doute compris que le pays qui habite en lui n’est plus tout à fait le sien, mais il garde précieusement en mémoire les dernières paroles de sa mère, prononcées ce jour de 1989 où ils devinaient tous deux qu’ils se voyaient peut-être pour la dernière fois : « Deviens celui que tu voudras devenir et garde ceci en mémoire : l’eau chaude n’oublie jamais qu’elle a été froide… » Le titre de ce chapitre est « Va, vis et deviens ».


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Lumières de Pointe-Noire de Alain Mabanckou, Seuil, 285 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166