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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Je ne me reconnais presque plus


Par Rasha OMRAN - poétesse
2013 - 04
Le Caire

Je ne suis plus celle que j’étais. Ma vision de moi-même et de la vie a changé. Mes questions me hantent tout d’un coup : je m’interroge sur mon identité. Ai-je été une Syrienne ? Ai-je été une Syrienne alaouite ? Ai-je été une Syrienne laïque ? Ai-je vécu tout ce temps dépouillée d’identité individuelle ?

Je dois d’abord avouer que je ne m’étais pas engagée auparavant dans les rangs de l’opposition. Je faisais partie de ceux qui ont choisi de garder une distance avec tout ce qui se rapporte à la politique, par peur sans doute ou par ignorance, je ne suis pas sûre. J’avais mon propre projet culturel que j’ai essayé tant que j’ai pu de protéger de toute influence politique et partisane. C’était un projet culturel citoyen réussi, selon la critique générale. Je vivais en Syrie et n’avais aucune intention de partir. Contrairement à de nombreux confrères, je ne connaissais ni hauts responsables ni officiers, je ne fréquentais pas leurs enfants.

Je me contentais d’interrogations, de suspicion et de distanciation avec ce qui ne me ressemblait guère. Telle était ma relation déclarée avec la politique et rien d’autre.

La révolution m’a confrontée à moi-même. Ce qui a été déclenché par les jeunes de Syrie, y compris ma fille et ses amis, m’a réveillée ou du moins mise sur la bonne voie à la quête de mon identité. Tout à coup, j’ai découvert que je n’étais pas celle que je prétendais être. Je n’étais pas exempte de l’influence de mon environnement social (alaouite) et l’impact s’en faisait ressentir à chaque massacre commis par le régime et ses conséquences. La révolution m’a permis de restaurer ma « syrienneté » et ma conscience syrienne.

Il y avait aussi un problème de relation avec ma fille. Le problème d’une mère célibataire et sa fille unique. Tout s’est passé comme si la révolution avait été un antidote, un remède à nos malentendus. La révolution nous a appris la tolérance, la patience et le pardon.

Dès lors, ma conception de la mort et de la poésie a profondément changé. La mort ne m’effraye plus, la révolution m’a réconciliée avec elle du moment où j’ai été témoin de l’événement le plus fabuleux de l’histoire de la Syrie. J’ai vu de mes propres yeux comment les jeunes affrontaient la mort et j’ai regardé leur sang éclabousser mes vêtements. La mort qui était une idée abstraite et oppressante dans mes écrits, est devenue une composante intrinsèque et tangible tout comme l’amour. La révolution a retiré ma langue de ses fortes illusions, elle l’a ramenée à la réalité. En outre, le fait de vivre dans un autre pays, dans une autre culture, a également modifié mon rapport à l’écriture.

Je ne me reconnais presque plus à présent. J’essaie en vain de me souvenir de celle que j’étais avant 2011. Je ne suis plus la même. Comme si le séisme syrien n’avait frappé que ma personne, qu’il ne visait que moi…


Traduit de l’arabe par N.A.
 
 
D.R.
« J’essaie en vain de me souvenir de celle que j’étais avant 2011. Je ne suis plus la même. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166